Le 27 juin dernier, les gouvernements des 29 pays membres de l’OCDE, cette importante pièce de ’outillage de l’ONU pour la légitimisation du commerce international, cosignent un document intitulé « Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales ». Fruit d’un travail de longue haleine, ce document somme toute assez bref propose aux entreprises multinationales de développer des stratégies dans une optique humanitaire. Portrait d’un gaspillage de talent, de temps et d’argent.
Optimisme et allégresse
Dans le vaste débat orchestré de la mondialisation, comme dans toute bonne farce politique, tout le monde s’est bien vite efforcé de partitionner l’arène de jeu en partis bien précis. Multinationale ici, gouvernement là, association internationale gouvernementale là, ONG ici. Reste plus qu’à choisir son camp. Comme ça, on s’y retrouve plus facilement, on sait qui sont les bons et qui sont les méchants. Comme dans la Guerre des Étoiles.
Toujours est-il qu’il y a trop de mauvaises langues qui disent du mal des multinationales. Elles font trop d’argent, font travailler leurs employés dans des conditions inhumaines, tentent sans cesse de contourner la loi, polluent l’eau et l’air, font affaire avec les pires dictateurs du monde moderne, et patati et patata. On oublie souvent que ces multinationales sont le moteur de l’économie mondiale : sans elles, nous serions bien désemparés. Alors les gouvernements se font tirer les oreilles et ils vont cogner à la porte de l’OCDE, quand ce ne sont pas les multinationales elles-mêmes qui ont un ou deux contacts là-haut. Et c’est comme ça que naît l’idée des Principes directeurs.
Les Principes directeurs adoptent les principes généraux suivants :
Voilà, tout et là et je n’ai pas l’intention d’entrer en détail dans ces principes. Disons qu’en résumé, il faut retenir qu’on demande aux entreprises multinationales de changer leur attitude par rapport aux actions qu’on leur reproche normalement, bref, de faire tout le contraire de ce qu’elles font présentement. Les gens de l’OCDE sont optimistes.
- Contribuer aux progrès économiques, sociaux et environnementaux en vue de réaliser un développement durable.
- Respecter les droits de l'homme des personnes affectées par leurs activités, en conformité avec les obligations et les engagements internationaux du gouvernement du pays d’accueil.
- Encourager la création de capacités locales en coopérant étroitement avec la communauté locale, y compris les milieux d’affaires locaux, tout en développant les activités de l’entreprise sur le marché intérieur et sur les marchés extérieurs d’une manière compatible avec de saines pratiques commerciales.
- Encourager la formation de capital humain, en particulier en créant des possibilités d’emploi et en facilitant la formation des salariés.
- S'abstenir de rechercher ou d’accepter des exemptions non prévues dans le dispositif législatif ou réglementaire concernant l’environnement, la santé, la sécurité, le travail, la fiscalité, les incitations financières ou d’autres domaines.
- Appuyer et faire observer des principes de bon gouvernement d'entreprise et mettre au point et appliquer de bonnes pratiques de gouvernement d’entreprise.
- Élaborer et appliquer des pratiques d'autodiscipline et des systèmes de gestion efficaces qui favorisent une relation de confiance mutuelle entre les entreprises et les sociétés dans lesquelles elles exercent leurs activités.
- Faire en sorte que leurs salariés soient bien au fait des politiques de l’entreprise et s’y conforment, en les diffusant comme il convient, notamment par des programmes de formation.
- S’abstenir d’engager des actions discriminatoires ou disciplinaires à l’encontre de salariés qui auraient fait des rapports de bonne foi à la direction ou, le cas échéant, aux autorités publiques compétentes, concernant des pratiques contraires à la loi, aux Principes directeurs ou aux politiques de l’entreprise.
- Encourager, dans la mesure du possible, leurs partenaires commerciaux, y compris leurs fournisseurs et leurs sous-traitants, à appliquer des principes de conduite des affaires conformes aux Principes directeurs.
- S’abstenir de toute ingérence indue dans les activités politiques locales. (1)
Comment les Principes directeurs peuvent-ils être efficaces s’ils ne sont pas juridiquement contraignants ?Mais oui, les EMN sont des personnes morales, de vrais petits archétypes du parfait citoyen, ne le saviez-vous pas? Comment douter, alors, qu’ils souscrivent volontairement aux Principes directeurs? Les gens de l’OCDE sont l’incarnation même de l’optimisme.
Certains pensent que, comme les Principes directeurs ne sont pas contraignants, ils ne peuvent avoir autant d’effet sur la conduite des entreprises que des lois contraignantes. Cependant, le respect de normes de comportement appropriées dans la plupart des sociétés n’est pas dû exclusivement, ni même essentiellement à la mise en vigueur formelle des lois, c’est-à-dire la recherche et la sanction des comportements illégaux. Si ces normes sont respectées, c’est plutôt que les personnes y souscrivent de manière volontaire, par tradition culturelle ou par conviction personnelle ou encore sous l’influence de leur famille, collègues, amis et connaissances. (3)
Main dans la main vers une société meilleure
Pour faciliter l’implantation des Principes dans les pays signataires, l’OCDE a développé l’idée des Points de contact nationaux, responsables « de promouvoir le respect des Principes directeurs dans le contexte national et de s’assurer que les Principes directeurs sont connus et compris par le milieu national des affaires et les autres parties intéressées. » Et voilà, de la bonne moulée fraîche pour les bureaucrates du gouvernement. Et pour être bien certains de leur coup, ils vont consulter les milieux patronaux et syndicaux à travers des organes affiliés à l’OCDE, le BIAC et le TUAC sur les questions qui entourent la mise en œuvre des Principes.
Et voilà, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, le monde du marché global têtant goulûment le sein gorgé de lait des multinationales gentilles et volontaires. Un monde parfait, où le libre-marché, ultime mélodie jouée sur le clavecin d’or du dieu Économie, est en mesure d’assurer dans son propre fonctionnement un chevaleresque volontarisme de la part des plus puissants empires que la Terre ait porté.
Un monde globalisé, où tous les travailleurs vivent heureux 40 à 80 heures par semaine et n’hésitent pas à serrer chaleureusement la main de leur voisin, même si celui fait 100 fois leur salaire en trois fois moins de temps, pour former une longue chaîne humaine à l’échelle de la planète. (4)
Le mot d’ordre : légitimation
Il est clair que les Principes directeurs font partie d’une vaste stratégie de légitimation qui a déjà fait ses preuves dans tout le dossier de la mondialisation des marchés. (5) Cette stratégie se développe en trois phases :
Le droit privé avant le droit public. Les entreprises avant les gouvernements. Aucun humain dans l’équation, pourtant. Et pour cause. Car bien que nous puissions prêter les meilleures intentions du monde aux optimistes gens de l’OCDE, l’objectif véritable à atteindre pour les Maîtres, pour reprendre l’expression d’Adam Smith, c’est la légitimation de leurs actes. Ce qu’on cherche à légitimer par ces Principes directeurs, c’est une globalisation légiférée par un partenariat état-entreprises dans lequel le citoyen n’a pas son mot à dire. Ce « partenariat » est l’un des principaux objectifs à atteindre dans le
processus de mondialisation. Il réaffirme et élargit la notion très critiquable de « droit de l’entreprise » (7), semble s’imposer de soi et le texte qui entoure cette idée n’est rien de plus que la façade qui la tient à l’abri, bien au chaud.