De l’ALENA à la ZLÉA - Un chapitre dans l'histoire de la mondialisation capitaliste

Soumis par phil le jeudi, 28 décembre, 2000 - 01:34 Analyse
Économie

Si tout va comme les investisseurs et gouvernements des Amériques le souhaitent, en l’an 2005, tous les pays des Amériques sauf Cuba, donc 34 sur 35, formeront une Zone de Libre-Échange. Beaucoup d’individus et de groupes à travers les Amériques sont hostiles à la future Zone de Libre-Échange des Amériques. Pour mieux comprendre comment la ZLÉA menace les peuples des Amériques, je crois qu’il est salutaire d’observer ce qui s’est mis en place en 1994, lorsque l’ALENA, l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain, est entré en vigueur.

L’ALENA s’applique à trois pays: le Canada, les États-Unis et le Mexique. C’est un bon exemple de ce que certains auteurs appellent les accords de “deep integration”, ou intégration profonde (1) . Ce que ce terme signifie, c’est que la portée des accords de libre-échange s’accroît dramatiquement. Alors que les accords précédents se concentraient majoritairement sur les politiques d’échange de marchandises, l’ALENA et ses successeurs (sur lesquels je glisserai un mot plus loin) permet aux services (tels l’éducation, la santé, etc.) et à l’investissement d’entrer sous la juridiction des traités, ce qui les intègre lentement mais très sûrement à l’économie de marché.

L’éducation et la santé ont été exclus des négociations de l’ALENA comme étant des “exceptions”, mais une clause de négociation perpétuelle fait aussi partie de l’accord. Le principe de négociation perpétuelle est une autre manifestation de la “deep integration”. Pour s’assurer que tous les secteurs visés se conforment un jour ou l’autre aux paramètres de la marchandisation, on s’engage à renégocier tous les domaines où il n’y a pas eu d’entente, jusqu’à ce qu’il y ait consensus. Ainsi, même si l’éducation et la santé sont entrées dans la case “Exceptions”, en 1994, ces secteurs ont été réouverts à la négociation il n’y a pas très longtemps, dans un secret encore plus complet que lors des discussions sur l’Accord lui-même.

Par ailleurs, non seulement les droits sociaux et la culture sont visés par de tels accords, mais ces aires de libre-échange s’appliquent également à l’investissement. Cela signifie qu’en plus d’étendre les paramètres du marché à de nouveaux secteurs, l’investissement, pour sa part, ne peut plus être régi par une législation gouvernementale. Mentionnons l’exemple maintenant très connu de la poursuite qu’Ethyl Corporation a engagé contre le gouvernement canadien. Celui-ci avait interdit l’additif MMT de l’essence pour des raisons environnementales. Ethyl Corporation a protesté, clamant qu’en vertu de l’ALENA, il s’agissait là d’un obstacle au libre-marché. Le gouvernement ne pouvait pas poser de barrières à l’investissement, et il a effectivement dû retirer sa législation, en offrant une compensation de plusieurs millions de dollars à Ethyl Corporation pour le désagrément.

Je ne cherche pas à défendre un point du vue protectionniste, ni à préserver la bonne santé du libéralisme classique et de la démocratie de marché. Ce que je cherche à démontrer, c’est le saut qualitatif qu’effectue l’économie capitaliste. Par des accords tels que l’ALENA, et éventuellement la ZLÉA, les droits corporatifs se retrouvent constitutionnalisés, et les droits sociaux deviennent “illégaux”, ou encore sujets à la marchandisation. Les principes régissant l’investissement deviennent les seuls, juridiquement parlant, qui dictent la marche de nos sociétés. L’éducation, la santé, la culture, l’eau, l’agriculture, l’environnement, les normes du travail, rien de tout cela, éventuellement, n’échappera au collimateur capitaliste.

Les éléments fondamentaux de ces nouvelles politiques sur l’investissement se retrouvent dans le chapitre 11 de l’ALENA. Ce chapitre a servi de canevas à ses successeurs, comme l’Accord Multilatéral sur l’Investissement, qui se serait appliqué à la vingtaine de pays les plus développés de la planète si la France ne s’était pas retirée, en 1998, face aux nombreuses protestations à travers le monde. Le chapitre 11 de l’ALENA fut également mis à contribution pour la Ronde du Millénaire de l’Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.). Le sommet qui devait lancer cette ronde a eu lieu à Seattle en novembre 1999. De grandes manifestations ainsi que plusieurs négociateurs du Tiers-Monde ont forcé le report du lancement, mais les discussions ont toujours lieu en vue de soumettre les quelques 150 pays-membres de l’O.M.C. à des politiques de libre-échange similaires à celles de l’ALENA.

Passons maintenant à la ZLÉA. La Zone de Libre-Échange des Amériques est un nouveau pas dans la globalisation capitaliste. Premièrement, géographiquement parlant, sa juridiction sera beaucoup plus étendue: au lieu de relier 3 pays, comme l’ALENA, elle en unira 34. Et deuxièmement, les secteurs de la vie humaine envahis par ce traité sont beaucoup plus variés qu’en ce qui concerne l’Accord nord-américain.

“L’Initiative pour les Amériques” a été lancée en 1994 par Bill Clinton. Deux Sommets des Amériques, réunissant tous les présidents, premiers ministres et dictateurs des 34 pays, ont déjà eu lieu: le premier à Miami, aux États-Unis, en 1994, et l’autre à Santiago, au Chili, en 1998. Cependant, les négociations sont continuelles et maintenues dans un degré aussi étonnant qu’inquiétant de secret(2). Quant au troisième Sommet, le journal que vous tenez entre les mains vous en parle amplement! En espérant que vous en parlerez aussi dans vos milieux!

Quelques groupes:

La Convergence de Luttes Anti-Capitalistes
(le regroupement le plus intéressant à mon avis, surtout pour ces principes d’organisation)
courriel: clac@tao.ca

Opération Salami
(un groupe actif depuis la mobilisation contre l’AMI, en 1998)

Occupation Québec Printemps (OQP) 2001
(une coalition de la ville de Québec qui s’est formée pour l’événement)

Notes

1) Voir, par exemple, les travaux de Dorval Brunelle et Christian De Block.

2) Néanmoins, le Canada a récemment divulgué les propositions qu’elle compte amener au Sommet. On peut lire un commentaire de Mathieu Houle-Courcelles, du Collectif de Recherche Autonome et Critique, sur ces propositions, intitulé “Du mutisme à la transparence”.