Les centrales syndicales québécoises et la mondialisation capitaliste: des contradictions à dénoncer

Soumis par phil le vendredi, 1 juin, 2001 - 17:24 Analyse
ÉconomieMouvements sociauxPolitique nationale

Les visiteurs et visiteuses de la ville de Québec au mois d’avril dernier, lors du Sommet des Amériques, ont peut-être remarqué un certain nombre de tensions entre les grandes centrales syndicales québécoises, co-organisatrices du Sommet des Peuples et de la Marche des Peuples, et la branche plus radicale de l’anti-globalisation, qui confrontait le périmètre de sécurité et la police québécoise. Le texte qui suit, que j’ai écrit en tant que membre de la CLAC, a pour but de mettre en lumière cette tension et de l’expliquer.


Un petit historique des positions des grandes centrales syndicales du Québec

Les grandes centrales syndicales, au Québec, sont au nombre de trois: la Conférédération des Syndicats Nationaux (CSN), la Fédération des Travailleurs-ses du Québec (FTQ), et la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ), anciennement Centrale de l’Enseignement du Québec. Il est intéressant de constater que ces trois centrales avaient des positions très radicales dans les années 1970, époque où le marxisme était fermement implanté au Québec. On se rappellera le légendaire front commun de 1972, où chaque centrale avait diffusé un manifeste aux titres assez évocateurs (CSN: "Ne comptons que sur nos propres moyens"; FTQ: "L’État, rouage de notre exploitation" et CEQ: "L’école au service de la classe dominante").

Cette radicalité, tant au niveau du discours que des actions, s’est hélas beaucoup ternie au fil des décennies, les centrales syndicales glissant vers la concertation et le lobbying. En 1995, par exemple, les centrales syndicales ont contribué à l’implantation du déficit zéro, en négociant avec Lucien Bouchard (premier ministre du Québec à l’époque). Par ailleurs, les syndicats ont développé des capitaux financiers et boursiers (comme par exemple le Fonds de solidarité de la FTQ) qui les placent souvent davantage du côté patronal que syndical. C’est ce qui explique, entre autres, le discours modéré et conciliant que nous avons pu entendre dans le cadre du Sommet des Amériques (les syndicats demandent parfois d’être inclus à la table de négociations, et non l’abandon de ces discussions), ainsi que le contexte dans lequel la Marche des Peuples s’est tenue.


Les syndicats et la Marche des Peuples

De son côté, la Convergence des Luttes Anti-Capitalistes, dès sa fondation au printemps 2000, a refusé toute forme de lobbying et a choisi de confronter la ZLÉA et le Sommet des Amériques. De plus, comme son nom l’indique, la CLAC a adopté une position anti-capitaliste, refuse aussi le patriarcat, l’impérialisme et toute forme de hiérarchie. Enfin, nous respectons une diversité de tactiques pouvant aller de l’éducation populaire à l’action directe. C’est pourquoi la position politique actuelle des centrales syndicales nous apparaît pour le moins problématique.

Malgré tout, nous avions décidé de participer à la Marche des Peuples du 21 avril 2001 en respectant les paramètres dictés. Comme plusieurs autres participantes et participants à cette marche, nous avons été plutôt surpris et déçus de voir la Marche s’éloigner du périmètre et de la ville de Québec pour aboutir dans un lieu éloigné de tout. Il faut comprendre que le trajet de la Marche des Peuples devait être l’inverse de ce qu’il a été: partir d’un terrain vague pour aboutir en basse ville, près de Québec. Mais ce trajet dérangeait les autorités du Sommet des Amériques. Le gouvernement canadien a donc négocié avec les syndicats pour modifier le parcours de la Marche.

De plus, les gens qui auront réussi à écouter l’ensemble du discours de Jean Chrétien du 21 avril 2001 auront peut-être remarqué que notre premier ministre a remercié la FTQ pour sa bonne conduite et son service d’ordre. Voilà qui a consterné nombre de travailleuses et de travailleurs, qui croyaient aller manifester contre les intentions du gouvernement, et non en collaboration avec celui-ci! Pour d’autres, cela a tout simplement confirmé leurs soupçons, à savoir que les élites syndicales contribuent souvent à étouffer l’esprit contestataire de leur base pour ne pas perdre leur place dans les coulisses du pouvoir.

Ce même service d’ordre, que M. Chrétien a louangé, n’a d’ailleurs pas chômé durant la Marche des Peuples. Ils et elles étaient au nombre de 1500, et s’assuraient que rien ne vienne "perturber" l’esprit de leur manifestation, y compris un message politique plus radical, tel que celui de la CLAC. La CLAC devait se trouver à la fin de la manifestation et laisser passer les syndicats d’abord. Or, nous avons reçu une invitation du syndicat des Postiers de l’Ontario de nous rendre à l’intérieur de la manifestation, avec eux. Dave Bleakney, du syndicat des Postiers, a d’ailleurs expliqué cette invitation sur les ondes de Radio-Canada en disant que son syndicat voulait de cette façon assurer notre sécurité et se solidariser avec notre dénonciation de la violence inhérente à la mondialisation capitaliste.

Le problème, c’est que le service d’ordre de la Marche des Peuples ne l’entendait pas ainsi. C’était tout un spectacle de les entendre parler, tels des policiers, de "respect des consignes". Tout comme les policiers, le service d’ordre de la Marche a justifié ses interventions en disant que la manifestation était louable tant qu’elle était pacifique. Mais tout comme les policiers, le réel objectif du service d’ordre n’est pas de contrôler la violence, mais bien de faire de la répression politique.

Cette forme de censure fait partie d’un ensemble de gestes qui montrent le manque total de solidarité des bureaucraties syndicales d’avec la branche radicale du mouvement d’opposition à la mondialisation capitaliste. Ce corporatisme primaire s’est aussi montré le visage le 21 avril, en la personne de Françoise David, présidente de la Fédération des Femmes du Québec, lorsque celle-ci a dénoncé les gestes de "violence" telles que les attaques au périmètre de sécurité, contribuant ainsi à justifier la répression et la violence policières sur l’ensemble du mouvement. On peut comprendre que certains groupes ou certaines organisations choisissent différentes manières de s’opposer, mais de voir un tel manque de solidarité avec des militants se trouvant du même côté du périmètre, et vivant les mêmes problèmes sociaux, est intolérable.


La lutte syndicale est une lutte globale

Inutile de dire que les déceptions face à la Marche des Peuples des Amériques furent très nombreuses. Des commentaires à ce sujet furent amenés par un membre du mouvement des sans-terre du Brésil, comme par un professeur au cégep de Jonquière, au Québec, par exemple. Aussi, quelques discussions avec des travailleurs et travailleuses, même celles et ceux qui ne militent pas quotidiennement contre la globalisation montrent que ces personnes auraient voulu se rendre au périmètre de sécurité, au moins pour le voir et y exposer son opposition. Nombreuses aussi étaient les frustrations face au trajet de la manifestation, qui s’est terminée au milieu de nulle part. Il est donc important de dire que nous ne rejettons pas le mouvement syndical, ni l’esprit combattif qui peut animer les travailleurs et travailleuses. Nous dénonçons plutôt le corporatisme et le lobbyisme des bureaucrates syndicaux.

Une telle distinction est essentielle, car la lutte syndicale, en cette époque de globalisation, est d’une très grande importance. Les combats que mènent les syndicats, à l’échelle continentale, sont pour la majorité des facettes locales de la lutte contre la globalisation. Les mises à pied massives, les privatisations, les fusions d’entreprises sont toutes des conséquences tristement concrètes de la mondialisation capitaliste. Les politiques néolibérales des gouvernements Harris, Bouchard et Chrétien, celles qui nous appauvrissent de jour en jour et privatisent nos biens publics, sont issues des demandes de lobbys patronaux tels le Conseil Canadien des Chefs d’Entreprise.

Face à cette contre-attaque planétaire des patrons, il est crucial de s’organiser de façon combattive dans nos milieux de travail. D’autant plus que beaucoup de travailleurs et travailleuses ne sont pas très informés au sujet des transformations du capitalisme, alors que cela les concerne directement et affecte leur vie au quotidien. Les syndicats, pour toutes ces raisons, devraient être des outils permettant de lier les luttes locales aux luttes mondiales.

Lors des protestations contre le Sommet des Amériques et la possible Zone de libre-échange des Amériques, plusieurs syndicats ont choisi d’appuyer la Convergence des Luttes Anti-Capitalistes et ses actions. Mentionnons par exemple le Syndicat Canadien de la Fonction Publique, le Syndicat des Postiers en Ontario, ainsi qu’une membre de Common Frontiers (une large coalition canadienne contre la mondialisation néolibérale), que nous remercions pour leur appui.

On pourrait peut-être avancer que ces syndicats et ces groupes sont justement parmi ceux qui font ce lien entre la lutte syndicale, locale, et la lutte mondiale. En effet, le Syndicat des Postiers dénonce avec perspicacité la poursuite que fait UPS au gouvernement canadien en vertu de l’ALENA pour démanteler le service postal public dans le secteur des Grands Lacs. Ils et elles savent bien que les tractations des élites économiques et politiques, même si elles nous semblent lointaines, ont des effets majeurs sur nos vies quotidiennes.