"Ils ont attaché un fil électrique à mon pénis et l'autre bout est [sic] attaché à un moteur électrique. L'un des hommes de la sécurité frappait mes pieds avec un câcle. Des chocs électriques ont été appliqués régulièrement ["every few minutes"] et ont été augmentés. J'ai dû rester suspendu pendant plus d'une heure. J'ai perdu conscience. Ils m'ont emmené dans une autre pièce et m'ont fait marcher bien que mes pieds étaient enflés par les coups... Ils ont répété cette méthode quelques fois."
Le 2 juillet 1999, Al-Shaikh Yahya Muhsin Ja'far al-Zeini, un ex-étudiant en théologie alors âgé de 29 ans, fut arrêté. Il fut emmené à l'Agence de Sécurité Saddam. Il a déclaré à Amnistie Internationale avoir été torturé de la sorte pendant cinq mois, condamné à dormir dans une cellule froide, mains liées, le visage contre le sol.[1]
Dans le monde moderne, il existe deux formes de barbarie[2]. La première, romantisée et rapidement oubliée par les médias de masse des civilisations "éclairées" qui la perpètrent, est la barbarie associée aux "dommages collatéraux" de la guerre militaire et économique. Est-il besoin de rappeler la cruauté extrême des embargos sur Cuba, l'Irak et Haiti, dont la légitimité est souvent particulièrement douteuse par rapport au mal humanitaire qu'ils engendrent[3]? Et que dire des bombardements de l'OTAN en Ex-Yougoslavie pendant la "guerre" du Kosovo qui tuèrent directement plus de 500 civils, détruisant des établissements civils (hôpitaux, systèmes d'irrigation, etc) [4] et accélérèrent la purification ethnique perpétrée par les Serbes[5], laissant un pays en ruines[6] et des tensions ethniques toujours présentes dans la région. Bien sûr, dans le contexte actuel nous ne pouvons oublier la Guerre en Irak perpétrée par la coalition États-Unis - Grande-Bretagne, où l'utilisation de "cluster bombs" et de mines anti-personnelles menace gravement la population civile[7].
La seconde, régulièrement dénoncée par les organismes humanitaires comme Amnistie Internationale et Médecins sans frontières, est le fait des régimes totalitaires à l'endroit de leur propre population et des conflits raciaux. Pensons à la Tchétchénie, où les journalistes ont un interdit de séjour[8] et où les autorités russes exercent vraisemblablement une véritable politique d'épuration ethnique[9]. Pensons à la Bosnie-Herzégovine, dont la population musulmane fut décimée par une épuration ethnique violente, menée principalement par les troupes Serbes, qui mena à plus de 150 000 morts. N'oublions pas le Rwanda, où une intervention de l'ONU aurait pu sauver de la mort un million d'innocents. Pensons enfin aux quelques 70 pays où des prisonniers sont torturés et/ou exécutés: Arabie saoudite, Chine, Cuba, Irak, Iran, Égypte, États-Unis[10], Jordanie, Maroc, Soudan, Syrie, Turquie, etc.
Le vaste mouvement qui s'est mobilisé dernièrement contre la guerre en Irak, avec des manifestations monstres dans plusieurs pays, a plus souvent penché son analyse sur la première forme d'atteinte aux droits humains que sur la seconde. Nous nous indignons de voir que les gouvernements des États forts, ceux qui ont la force militaire nécessaire pour intervenir dans d'autres pays, jouissent d'une forme d'immunité. Cette immunité attribuable à la seule force des puissants entre en contradiction avec l'idée même d'une véritable justice planétaire, égalitaire et fraternelle. Voir Milosevic sur le banc des accusés est certes réconfortant, mais voir Kissinger, directement impliqué dans de nombreux crimes contre l'humanité, non seulement libre de toute entrave mais toujours présent dans l'administration américaine - Kissinger a été nommé récemment à la tête d'une commission d'enquête sur le 11 septembre[11] - nous fait sérieusement douter de la sincérité d'une prétendue "justice internationale" que les États "éclairés" se targuent de défendre. Aussi est-il normal et important que nous nous efforcions de faire le travail pénible de déconstruire la propagande de ces États forts dont nous faisons partie.
Cependant, bien peu de gens se sont insurgés contre la seconde forme de brutalité, celle perpétrée dans ce cas par le régime irakien à l'endroit de sa propre population. Pourtant, les exemples ne manquent pas: utilisation d'armes chimiques contre l'Iran de 1980 à 1988, gazage de 5000 Kurdes à Halabja en 1988, crimes de guerre et crimes contre l'humanité durant l'invasion du Koweit (1990-1991), crimes contre l'humanité à l'endroit de plusieurs minorités (Kurdes, Chiites, etc) et dissidents politiques, exécutions sommaires, etc[12]. S'il est vrai que les américains ne sont pas étrangers à ces crimes, ayant financé Saddam Hussein pendant toutes les années 80, il ne faut pas pour autant rejetter toute la faute sur ces derniers: Saddam n'est pas une marionette des américains, c'est un dictateur sanguinaire qui ne se gêne pas pour aller en guerre dès qu'il en a la possibilité. Il est important, pour quiconque se proclame humaniste, de dénoncer les deux types d'atrocité sans distinction. Or, dans la situation actuelle de la guerre en Irak, très peu de pression a été faite dans un esprit d'opposition au parti Bhaas. En fait, il n'est pas étonnant que Saddam ait repri la voix du mouvement anti-guerre comme un appui à son régime: ce même mouvement ne s'est jamais soulevé dans d'aussi grandes proportions contre lui. Cette faille importante a rendu, aux yeux de certains, le mouvement moins crédible et ce, avec raison.
Je pense que ce qui a retenu le mouvement, c'est qu'une opposition au régime irakien aurait pu être inversement reprise par la coalition pro-guerre comme un appui à leur cause. Mais devant l'ampleur du mouvement anti-guerre, le côté fallacieux de cette récupération aurait été rapidement mis au grand jour. Par contre, je ne pense pas que ça aurait changé de beaucoup le cours des événements actuels. L'objectif de la coalition US-UK était clair dès le début des "négociations" à l'ONU: détrôner Saddam par le biais des armes. Dans ce contexte, il était également clair que ce dernier n'allait pas se laisser faire sans rechigner, ce qui a été repris par les forces de la coalition comme une justification de l'intervention militaire sous prétexte que les inspections de l'ONU étaient inefficaces. Par contre, il aurait été évident que la voix du mouvement n'allait pas dans le sens d'un appui au régime irakien et d'une opposition aux États-Unis à saveur antiaméricaine, mais un véritable appui à une solution diplomatique et humanitaire. Il est important de retenir cette leçon pour l'avenir.
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[1] Iraq: Systematic torture of political prisoners, Amesty International.
[2] Réda BENKIRANE, De la barbarie en général et de l'ingérence en particulier, @rchipress.
[3] Selon l'UNICEF, deux fois plus d'enfants irakiens meurent depuis le début de l'embargo en Irak. Source: UNICEF : Questions and Answers for the Iraq child mortality surveys, UNICEF.
[4] Who NATO killed
[5] The NATO bombing: an assault on sovereignty, rapport de l'ex-ambassadeur du Canada en Yougoslavie à la Chambre des Communes.
[6] À être reconstruit par des contracteurs des pays de l'OTAN.
[7] Iraq: Use of cluster bombs -- Civilians pay the price, Amnesty International, 2 avril 2003.
[8]
La Russie refoule Günter Wallraff, venu enquêter sur les droits de l'homme en Tchétchénie, Reporters Sans Frontières.
[9] Can you call this anything but genocide?, USA TODAY, 2 février 2000.
[10] Les États-Unis, comme on le sait, appliquent toujours la peine de mort dans plusieurs de leurs États. Depuis le 11 septembre, les lois antiterroristes ont alloué plus de "laxisme" quand au traitement des prisonniers, résultant en un retour de la torture dans la prison de Guantanamo Bay (source: U.S. Decries Abuse but Defends Interrogations, Washington Post, 26 décembre 2002).
[11] Bush names Kissinger to head 9/11 probe, CNN, 29 novembre 2002.
[12] War Crimes, U.S. Department of State, International Information Programs.