La vérité dissimulée derrière le succès de Star Académie

Soumis par anarcat le mardi, 29 avril, 2003 - 21:40 Analyse
Arts et culture

La culture au Québec a souvent été présentée comme un joyau précieux qu'il nous faut conserver. Le multiculturalisme de Montréal, ses multitudes de bars et salles de spectacles, l'histoire respirant dans les murs des métropoles... les Québécois sont fiers de leur univers.

Ceci a bien changé.

Maintenant, les salles de spectacles ferment ou montent de prix[1] et les bâtiments historiques sont vandalisés par leurs propriétaires[2]. Mais l'Industrie Culturelle, elle, fonctionne à plein régime. Celine Dion, après avoir été une chanteuse minable durant toutes ces années, est maintenant une superstar internationale, Notre Dame de Paris a fait d'énormes recettes ici et en France, Emergenza[3] déterre des putains insoupçonnées de l'underground montréalais et enfin Star Académie nous expose les prochaines stars préfabriquées qu'il faudra se taper.

Qu'ont en commun tous ces événements? La commandite. Ma théorie est en effet que ces "grands succès" n'auraient jamais eu lieu si ce n'était pas de l'assistance de méga-corporations à leur ascension. La recette est simple: trouver un artiste qui a très peu à dire, qui suit bien le courant des modes, qui a belle allure, bref, un poisson qui ne fait pas trop de vagues, et le propulser comme une superstar. Le montrer partout. Parler de sa femme (ou de son mari), de ses déboires, de son épicerie s'il le faut, on s'en sacre, il faut saturer les consommateurs. Il chante bien Wilfried? On s'en sacre, on vient de le mettre sur la mappe, avec en prime un contrat secret l'emprisonnant dans la machine de guerre Péladeau. C'est le principe de la répétition qui va déterminer le succès de l'entreprise et non la qualité du matériel ou la personalité du personnage en question.

Avez-vous lu une seule critique négative de Star Académie dans les mass media? Et je ne parle pas seulement ici des filiales de Quebecor[4]. Il n'y en a aucune[5]. Tout le monde s'accorde pour louanger cette pièce d'histoire. C'est pour la même raison que ces médias n'appuient pas ouvertement les luttes contre la mondialisation ou d'autres mouvements révolutionnaires. Ils sont financés par les ennemis de ces luttes. Quebecor, non content d'utiliser sa synergie nouvellement créée pour publier le plus possible d'articles, de pubs et de potins sur Star Académie, achète évidemment des pubs dans d'autres médias concurrents. Le résultat est que tous sont contraint à être élogieux du grand succès de Star Académie.

J'ai mené une petite expérience récemment: je suis allé à mon supermarché local et j'ai répertorié les magazines et publications portant la mention Quebecor Media. Au total, j'ai pu lister 19 publications[6] avec la mention Quebecor Media, et ce seulement à côté des caisses, dans les files d'attentes. En fait, l'énorme majorité des magazines où mon oeil a pu se porter ces dernières visites appartiennent à Quebecor Media. C'est à ce demander si le géant Provigo lui-même n'appartient pas au conglomérat. Ajoutons à cela les stations de télévision TQS et TVA, des parts dans Vidéotron (qui possède lui-même d'innombrables stations sur le câble), des portails internet (Canoë, La Toile du Québec) et aussi les presses Quebecor, qui sont celles qui impriment jusqu'au Devoir, le bras de Quebecor est long et tentaculaire.

Il est donc clairement impossible de ne pas entendre parler de Star Académie d'une façon ou d'une autre. Plusieurs de ceux qui ne se "connectent" pas sur Star Académie le font (selon mes observations) par refus explicite de ces techniques. Parce qu'en soit, Star Académie, ce n'est pas désagréable, j'en suis sûr. Ce doit être ce qu'ils appellent des "grand moments" de la télévision. Pour la plupart des téléspectateurs, c'est du grand spectacle, on se sent proche des victimes/concurrents, on se plaît à écouter leurs conversations intimes, la combinaison Reality Show/Star System est efficace et percutante. On a l'impression d'avoir le privilège de faire les voyeurs chez des inconnus et ce sentiment se mélange avec l'extase de connaître les futures stars que nous allons élire (moyennant une modeste contribution, évidemment). Il y a pas à dire, la recette de Star Académie (importée de France, comme on le sait) est puissante et sans pitié.

Un gars, une fille, après ça, c'est une émission de variété intellectuelle.

Comment de telles choses peuvent-elles se produire, me demandais-je? Il existe une entité contrôlant les médias et les communications, au niveau fédéral: le CRTC. En fait, le CRTC a le mandat "de réglementer les réseaux de radiodiffusion et de télécommunications du Canada. Il rend compte au Parlement par l'intermédiaire de la ministre du Patrimoine canadien." En examinant la vision[7] du CRTC on se rend compte que la priorité est plus d'alimenter le lobby pro-canadien que de protéger le public de la concentration de la presse au Canada. Car si là était véritablement leur mandat, des transactions comme celles qui ont permis à Quebecor d'être devenu si gigantesque n'auraient pas eu lieu. Corruption? Laisser-aller? Je ne sais pas, mais il y a clairement quelque chose qui cloche.

Le pire, dans tout ça, c'est que personne ne remet en question ces pratiques, parce que ce sont les médias qui façonnent désormais notre monde. C'est cette poignée de millionnaires qui dirigent l'opinion publique, à un tel point que les élections sont devenue une triste et ennuyeuse histoire en comparaison aux éliminatoires de Star Académie. Tous ces mégalomanes sont bien contents de la concentration de la presse. Gesca, Quebecor, Transcontinental n'iront jamais sur la place publique se dénoncer eux-mêmes, ça ne ferait aucun sens.

Il ne reste plus qu'à le faire nous-mêmes. À bas ces méga-corporations! Prenez ces moyens de productions entre vos mains, aux médias citoyens!

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[1] e.g. le Café Sarajevo, le Jailhouse, le Zest sont maintenant fermés, à cause de la gentrification, principalement, tandis que les prix des salles restantes sont souvent hors de portée des groupes indépendants
[2] e.g. le Rialto, quoiqu'on m'a dit que la rénovation n'a pas été si pire.
[3] Emergenza est un concours "underground" qui a eu lieu encore cette année à Montréal. Emergenza a quelques particularités achalantes. Ils demandent 70$ aux bands pour participer, malgré le fait que le concours est commandité au maximum; il y a un système "d'éliminatoires" où les votes à main levée dans la salle déterminent qui passe à la prochaine étape; et ce sont les bands qui s'occuppent de faire la promotion et de vendre des billets. Ceci a pour effet non seulement de faire que les bands qui vendent le plus de billets pour Emergenza sont ceux qui passent à la prochaine étape, mais aussi et surtout que Emergenza s'en mets plein les poches! Pas de promo à faire, tout le matériel est commandité, et pas de bands à payer en prime! Une vraie farce. Pour plus d'informations, vous pouvez lire les discussions à ce sujet dans l'article du Voir: Emergenza: scandale ou salissage? ainsi que les critiques à la source de ces discussions sur le site des Martiens ainsi que le texte de Mojoya qui a donné la puce à l'oreille des gens de l'underground montréalais. À lire également la suite de l'article du Voir.
[4] Quebecor nous en fournit une liste sûrement non-exhaustive gratuitement!
[5] D'accord, il y a peut-être quelques révoltés dans des journaux comme Le Voir ou des journaux undergrounds, mais il ne m'est jamais arrivé d'en trouver. D'ailleurs, le journal "underground" gratuit Ici appartient maintenant également à Quebecor, tout comme le Mirror, si je ne m'abuse.
[6] La liste est la suivante: Star Inc., 7 jours, 7 jours TV, Clin d'Oeil, Dernière Heure, Les Idées de ma Maison, Femme Plus, Cool!, Filles d'Aujourd'hui, Décoration chez Soi, Star Académie TVA (livre de présentation), Décideurs, Collection Côté Jardin, Le Lundi, Recevoir, sans oublier l'inoubliable Echo-Vedettes, Journal de Montréal, Journal de Québec. Il est clair que ceci est en fait une infime portion de l'empire Quebecor, mais ça vous donne une idée.
[7] "Des communications de calibre mondial, avec une présence canadienne distinctive, dans l'intérêt public."