Chapitre 1 : Origine historique de la Constitution

Soumis par Martin Trudeau le mercredi, 6 août, 2003 - 14:05
Géopolitique

Introduction

Pour comprendre le fonctionnement du gouvernement américain d'aujourd'hui, il est nécessaire de retourner en arrière jusqu'à la Révolution américaine et la signature de la Constitution. Nous pourrons alors y voir la logique derrière la Constitution, ses Amendements, et sa Charte des Droits. Alors revenons en arrière, quelques années avant la Déclaration d'Indépendance de 1776.

À cette époque, les 13 colonies qui formeront les 13 premiers États sont en réalité treize fiefs indépendants, chacun sous l'autorité d'un Gouverneur désigné par Londres. Les colonies sont indépendantes l'une de l'autre, chacune avec ses particularités, ses lois et surtout son gouvernement. Dans la très grande majorité des colonies, le pouvoir est dans les mains du gouverneur, mais il existe quand même un Congrès des citoyens, formé par l'élite intellectuelle de la région. Dans certaines colonies (comme le Rhode Island et le Maine) ce Congrès est si influent qu'il peut passer des lois (avec l'approbation du gouverneur, bien sûr), mais en général, il ne s'agit que d'une assemblée consultative. Cependant, des liens commencent à se tisser entre les différents Congrès, et bientôt l'élite des colonies commence à demander une identité nationale américaine et plus de responsabilité politique. Cependant, le peuple, quant à lui, se fout complètement de savoir qui dirige le pays, tant qu'il ne paie pas trop de taxes.

Le début de la Révolution

Et voilà le premier grand «mensonge» de l'histoire américaine. Au départ, la Révolution n'avait pas pour but de créer une terre de liberté, de justice. Ce n'était pas une révolution pour se débarrasser du roi injuste et créer une démocratie pour tous. Il ne s'agissait en fait que d'une protestation contre des taxes trop élevées, ce à quoi l'élite intellectuelle a par la suite ajouté le besoin de plus d'indépendance politique. (Il s'agit de la même raison que les Troubles de 1837-1838 au Canada, d'ailleurs.) Cependant, la situation s'est tant envenimée que les fermiers se sont rangés derrière le leadership des intellectuels (des hommes comme Jefferson, Franklin, et le très populaire général Washington) et ont décidé de ne plus payer de taxes tant que l'Angleterre ne leur donnait pas un gouvernement responsable. La réponse du roi Georges fut décisive : au lieu de la négociation, il a choisit la réponse armée. À partir de ce moment, aucun retour en arrière n'est possible. Les leaders des 13 colonies s'unissent en un Congrès Américain, une milice est formée sous l'autorité de Georges Washington, et la Déclaration d'Indépendance est proclamée en 1776.

Une fois la Révolution gagnée en 1781, les colonies (maintenants nommées États) doivent se doter d'un gouvernement. Il est évident que la seule façon d'éviter le retour des Britanniques est d'être uni. Donc, le 1er mars 1781, les 13 états signent les Articles de la Confédération, créant un gouvernement central. Cependant, ces articles ne fonctionnent pas du tout, et tout est à refaire. Les États convoque donc une Convention Constitutionnelle, le 14 mai 1787. Leur mission : créer une Constitution. (Fait intéressant, le Rhode Island a refusé d'envoyé ses délégués à cette convention)

Les architectes de la Constitution

L'un des premiers points à considérer pour comprendre la Constitution est la nature même de ces délégués. Sous le leadership de Jefferson, Franklin, John Adams et James Madison, sont réunis un petit regroupement d'avocats, de diplomates, d'universitaires et de commerçants influents. Il est maintenant reconnu que presque tous étaient membre d'un groupe de francs-maçons ou d'un autre, et que tous étaient des hommes des Lumières, amoureux des œuvres de Rousseau et autres grands penseurs libéraux de l'époque. Et la plupart d'entre eux étaient très distants du «peuple».

La situation des États-Unis

Un autre point à ne pas oublier est qu'à ce moment de l'histoire, les USA sont un petit pays isolé et en pleine construction. La population de citoyens (c'est à dire des hommes blancs et libres - les Noirs ont eu le droit de vote en 1871, et les femmes en 1920) est petite et facile à gérer et consulter. La paranoïa d'un retour de l'Angleterre court, et tous ont peur de voir surgir un nouveau tyran à la tête de la nation (c'est pour ça que le Président a si peu de pouvoir à l'intérieur de son propre pays.) Ils doivent se bâtir, se créer une richesse et surtout se protéger contre une nouvelle invasion britannique (qui ne viendra jamais, mais bon...) Leur seul allié est la France (Lafayette est un héros de la Révolution américaine). Le Congrès décide donc de se concentrer vers l'intérieur et de s'isoler politiquement, pour éviter de se faire de nouveau ennemis. C'est pourquoi la Constitution ne parle presque pas de politique étrangère : le Président peut faire ce qu'il veut. La seule restriction qu'on lui impose est que le Congrès doit approuver par vote tout traité ou pacte que le Président fait avec un autre gouvernement. Sinon, il a carte blanche.

En même temps, le jeune pays rebelle doit se faire reconnaître internationalement, et commence à envoyer des ambassadeurs, sans grand résultat au début, sauf bien sûr chez les ennemis de l'Angleterre. D'ailleurs, voici un fait historique particulier. La plupart des américains, après la Révolution, ont voulu donner le titre de «Roi» à Georges Washington (et celui-ci n'aurait pas refusé, selon l'avis de plusieurs.) Il ne faut pas oublier que cette époque est avant la Révolution française, et qu'à l'exception de la Suisse, toutes les nations étaient gouvernées par un souverain. C'était la façon d'être, et un pays sans couronne n'était pas une nation, n'avait pas le mandat de Dieu pour exister. De plus, certains membres du Congrès voulaient eux aussi un roi, dans le but de légitimer les États-Unis. Le reste du Congrès fut terrifié par l'idée, et malgré plusieurs émeutes, ils ont finalement opté pour un «Président». Sa Majesté Georges Washington Ier se fera donc appeler Mr President Washington.

Une union d'États

Lorsque les révolutionnaires se définissaient comme «Américains», c'était en opposition contre «Britanniques». Cependant, une fois seuls, ils se définissent non pas comme américains, mais comme Virginien, Georgien, New Yorkais... Bref, malgré le désir d'avoir une seule nation unie qu'ont la plupart des délégués, il reste que leur jeune nation est formée en réalité de 13 pays différents, chacun voulant conserver jalousement sa souveraineté.

Et différents, ils le sont. Certains sont très grands, d'autre plus petits. Certains sont populeux, d'autres moins. Certains ont une économie basée sur l'esclavagisme, d'autres ont interdit la possession d'esclaves depuis des années déjà. Tous ont des lois bien à eux, et une façon de se gouverner qui leur est propre.

Plusieurs questions sont posées, des questions qui divisent le Congrès. Si un État est plus populeux et qu'il paie alors plus de taxes, pourquoi n'aurait-il pas plus de votes au Congrès qu'un État plus petit? En contrepartie, pourquoi les petits États seraient-ils soumit à la dictature des plus grands? Est-ce qu'un esclave est compté dans la population pour déterminer le nombre de délégué d'un État? Est-ce que cet esclave (ou plutôt son maître) doit payer des impôts ? S'il n'est pas compté pour la population, pourquoi paierait-il des taxes ? (Là-dessus, ils ont trouvé un compromis : un esclave mâle vaut 3/5 d'homme, pour calculer la population et pour les taxes.) Et la grande question : qui est le plus fort, le gouvernement fédéral ou l'État ? Et une autre importante : quel pouvoir est le plus fort : l'exécutif, le législatif ou le judiciaire ?

Toute la Constitution est un compromis entre ces divers points de vue et d'autres. La nation sera une Union d'États à moitié souverains. Chacun de ces États aura son gouvernement et son gouverneur, et sera responsable de tout ce dont le gouvernement fédéral ne s'occupe pas. Chaque État fera ses propres lois, mais une loi fédérale aura toujours priorité (et la Court Suprême peut toujours annuler une loi, d'État ou fédérale, si celle-ci est contre la Constitution.) Le gouvernement fédéral aura un rôle très limité (ce n'est qu'après la guerre de Sécession que le gouvernement fédéral deviendra plus fort et important que les États.) Pour assurer l'égalité des États, tout en reconnaissant l'importance des populations, le Congrès sera divisé en deux chambres législatives, avec deux sénateurs par État et un nombre variable de représentants selon leur population.

Et l'élection du Président ?

Les États-Unis ne possède pas un gouvernement exécutif démocratique. La population n'a pas le droit constitutionnel d'élire le Président, comme les élections de 2000 l'ont démontré. Et c'est intentionnel. Les créateurs de la Constitution ne voulaient pas donner ce pouvoir au peuple.

Bien qu'une minorité des délégués, comme Jefferson, veuille donner les pleins droits démocratiques à la population, la majorité était d'avis que celle-ci n'avait pas les connaissances ni le jugement nécessaire pour porter une telle responsabilité. Après tout, qu'est-ce qu'un fermier illettré peut bien connaître de la politique? Seuls quelques hommes de qualité, possédant assez d'éducation ont la capacité de prendre des décisions qui affecteront toute une nation. (N'oublions pas que le Congrès est formé de l'élite du pays!) De plus, le Président est considéré comme subalterne aux gouverneurs des États; il est le médiateur entre eux, et représente les États et le Congrès à l'étranger. (Cette vision du gouvernement était très proche de celle de la Suisse à cette époque.)

Alors, comment choisir le Président? Par les Collèges électoraux. Chaque gouverneur choisira parmi les citoyens de son État ceux qui sont les mieux aptes à choisir un Président. Chaque État a droit à un nombre de Grand Électeurs égal à celui des ses représentants et sénateurs (mais ce ne doit pas être ceux-ci : les membres du Congrès n'ont pas le droit de voter pour la présidence.)

Officiellement, c'est encore ce système qui est en place aujourd'hui. (Nous reviendrons dans un autre chapitre sur ce point plutôt particulier.)

En avant la machine

Le 17 septembre 1787, 39 des 55 délégués ont signé la Constitution de la République des États-Unis d'Amérique. Celle-ci fut ensuite mise sous sa forme définitive (passant de 23 articles à 7, mais sans perdre aucune des décisions) par W.S. Johnson, A. Hamilton, G. Morris, James Madison (quatrième Président des USA) et R. King. Ceux-ci ont aussi inclut dans le document les procédures nécessaires pour amender la Constitution et pour créer la Charte des Droits. Tous les États ont finalement adhéré à l'Union en 1788, sauf le Rhode Island qui ne s'y joint qu'en 1790.

Divisions

La Constitution ne parle pas de partis politiques. N'importe qui peut être élu, sans l'aide d'un groupe ou d'un parti. Cependant, dès le début, deux visions politiques se sont opposé et ont créé les premiers partis politiques.

Le premier est formé des Fédéralistes. Ceux-ci veulent un gouvernement central fort et plus puissant que les États. Pour eux, seul le fédéral peut monopoliser les ressources nécessaires pour faire des USA un pays fort. Dans les années 1830, les Fédéralistes partisans d'une République forte changeront leur nom pour Républicains.

Par opposition, les Anti-Fédéralistes souhaitent un gouvernement le plus décentralisé possible. Comment un gouvernement basé à New York (la première capitale des États-Unis) peut-il savoir comment gérer les problèmes d'un fermier de la Géorgie ? De plus, un gouvernement décentralisé apporterait plus de pouvoir au peuple et certains donc plus démocratique. Plus tard, les Anti-fédéralistes deviendront donc le parti Démocrate.

(Il est intéressant de constater qu'au départ, les Républicains voulaient un gouvernement centralisé et interventionniste alors que les Démocrates souhaitaient le contraire. Teddy Roosevelt, le plus «à gauche» de tous les Présidents américains - il était à toute fin pratique un socialiste- était Républicain, tout comme Lincoln. C'est après la Première Guerre Mondiale que la situation s'est inversée.)