Un portrait de la rébellion zapatiste au Chiapas - Première partie

Soumis par phil le samedi, 20 septembre, 2003 - 14:50 Analyse
GéopolitiqueMouvements sociaux

Voici le premier de trois articles portant sur la rébellion zapatiste au Chiapas. Cette série de textes est issue d’une visite de deux semaines dans l’Aguascalientes d'Oventic (maintenant devenu Caracoles... tout ceci sera expliqué dans le deuxième article), dans le cadre d’une caravane organisée par Schools for Chiapas, et aussi par Students Taking Action in Chiapas. J’aimerais spécifier deux points importants dès le départ. D’abord, il s’agit d’un point de vue personnel, basé sur mes observations, de la lutte au Chiapas, et non une étude globale visant à décrire la situation dans sa totalité. Ensuite, et dans la même lignée, mes connaissances sur le mouvement zapatiste sont limitées (c’est pourquoi il s’agit d’UN portrait de cette rébellion), et j’invite celles et ceux qui auraient des détails ou des correctifs à apporter à le faire sans hésiter. Les personnes intéressées à avoir davantage d’informations sur Internet sont invitées à consulter le site de l’EZLN, celui d’Indymedia Chiapas, ainsi que les sites de Global Exchange, du SIPAZ et du Centro de Derechos Humanos Fray Bartolomé de Las Casas.

Un bref historique

L’oppression des indigènes du Mexique, comme ailleurs dans les Amériques, ne date pas d’hier. Même si la conjoncture économique et politique des dernières décennies a eu une grande influence sur le soulèvement des Zapatistes, ceux-ci maintiennent, avec raison, que les difficultés auxquelles ils font face remontent à la conquête, il y a environ 5 siècles. Depuis des centaines d’années, une petite minorité fortunée contrôle les terres, les ressources et le pouvoir politique dans l’État du Chiapas, au détriment des indigènes. La révolution mexicaine des années 1910 n’a pas empêché le gouvernement d’ignorer les indigènes, négligeant leurs besoins en éducation et en santé ainsi que leurs droits fondamentaux, tout en les laissant survivre dans une pauvreté encore plus élevée que la moyenne mexicaine.

Reste qu’on associe fréquemment, avec raison également, la lutte zapatiste à une révolte contre la globalisation et le néo-libéralisme, phénomènes plus récents. En effet, le soulèvement armé de l’Ejército Zapatista de Liberación Nacional (Armée zapatiste de libération nationale ou EZLN) eût lieu le premier janvier 1994, date d’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La signature de l’ALENA exigeait du gouvernement mexicain qu’il amende l’article 27 de sa constitution, garantissant la propriété communale des terres. Cet article était le seul acquis arraché par Zapata et les Mexicains du Sud lors de la révolution mexicaine.

Suite au soulèvement, l’armée mexicaine repoussa très rapidement les combattantEs zapatistes, et très vite, la bataille se mena surtout sur le front de l’opinion publique (malgré une forte présence militaire et plusieurs interventions armées). En 1996 furent signés les accords de San Andres, qui garantissaient aux indigènes du Chiapas l’autonomie et l’autodétermination, la gestion de leurs ressources et territoires et les reconnaissaient comme peuple Mais ces accords ne furent jamais votés en chambre, ne prirent jamais la forme d’une loi et donc, ne furent jamais appliqués.

Les années 1996 à 2000 furent parmi les plus difficiles. De nombreuses bases militaires furent établies, avec des points de contrôle tous les 15 km. Plusieurs observateurs internationaux furent expulsés. La violence atteint son sommet lors du massacre d’Acteal, en décembre 1997.

En 2000, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), très corrompu, fut chassé du pouvoir, pour la première fois en 71 ans, par le Parti d’Action Nationale (PAN), dirigé par Vicente Fox, l’actuel président. La victoire du PAN montre que le Mexique se rapproche des autres pays : c’est désormais le parti qui a le plus d’argent qui gagne, non le plus corrompu. Néanmoins, ce changement de garde marque un virage du pouvoir vers la droite.

La situation actuelle Les relations avec le gouvernement

Fox a déjà déclaré que s’il était élu, il règlerait la question zapatiste en 15 minutes. Évidemment, ce fut loin d’être le cas. Même la grande marche de Marcos et des Zapatistes, du Chiapas à Mexico City, en 2001, ne permit pas une sortie de l’impasse qui règne au pays. Le PAN opta cependant pour une stratégie différente du PRI. On suppose que les militaires ont laissé à Fox la responsabilité de redorer l’image du Mexique dans son rapport avec ses communautés autochtones, alors que l’armée se charge de mener des opérations plus " discrètes ". Fox tenta donc de montrer que le changement de parti au pouvoir allait amener une approche plus conciliante : 104 des 109 prisonniers politiques furent libérés, de nombreuses bases militaires surent éliminées, mais les Accords de San Andres ne sont toujours pas mis en application.

Pendant ce temps, les militaires forment davantage de paramilitaires. Des conflits entre communautés zapatistes et PRIstas (individus et communautés qui appuient le gouvernement) furent magnifiés et créés. Ces conflits sont complexes ; ils tirent parfois leur origine d’opposition religieuses, linguistiques ou culturelles. Dans d’autres cas, ils émanent de frustrations de certaines communautés de voir les Zapatistes refuser des " cadeaux " du gouvernement pour éviter l’étouffement du soulèvement. En tous les cas, l’armée fournit en équipement des communautés qui en veulent aux Zapatistes, et ce sont désormais eux qui se chargent de l’intimidation militaire, ce qui est tout un avantage pour le gouvernement qui peut s’en laver les mains. De plus, les attaques envers les Zapatistes se font plus ciblées qu’auparavant (on cherche à atteindre les autorités). Cela change la façon dont la société civile nationale et internationale peut aider les Zapatistes : il ne s’agit plus tellement de servir de boucliers humains (même si cela est souvent encore nécessaire) que de manifester notre solidarité et de contredire la campagne de désinformation du gouvernement.

Le plan Puebla-Panama

Le plan Puebla-Panama est une proposition du Mexique de Vicente Fox mais inclut 7 pays d’Amérique latine. En gros, il s’agit d’un vaste projet de développement d’infrastructures (autoroutes, maquiladoras, industrie touristique, etc.) qui transformerait complètement le Sud du Mexique. Le projet fait partie du plan plus général, coordonné par les États-Unis et le Canada, de développer une économie pan-américaine pouvant rivaliser avec celle de l’Union Européenne. Le Plan Colombie et le projet de Zone de Libre-Échange des Amériques (voir un autre article à ce sujet) s’inscrivent également dans cette lignée. Le plan Puebla-Panama est donc un nouveau grand obstacle à l’autonomie indigène au Chiapas : en effet, on y convoite les ressources comme jamais, et on veut transformer les environnements de certaines communautés en installations touristiques [1].

Le mythe du " repli zapatiste "

Suite à la marche des Zapatistes vers Mexico City, en 2001, et l’échec de celle-ci pour les deux parties en conflit, on a lu à plusieurs endroits que le Zapatisme entrait dans une phase de repli et même de recul, étant donné son incapacité à faire valoir ses revendications. Confronté à l’intransigeance du gouvernement mexicain, il ne resterait plus aux Zapatistes qu’à retourner dans les jungles du Chiapas et laisser leur mouvement s’essoufler.

Ma visite du Chiapas m’a au contraire montré que si il y a effectivement un repli interne, il ne s’agit pas du tout d’un recul. Il semblerait plutôt que les Zapatistes ont choisi de tourner le dos au gouvernement et de se concentrer sur le développement immédiat de leur propre autonomie. De nombreux projets ont été mis en branle ou ont " décollé " depuis deux ou trois ans. Bref, le mouvement zapatiste, contrairement à ce qui est diffusé à plusieurs endroits, semble en grande forme, choisissant d’aller de l’avant vers son autodétermination sans attendre l’accord des autorités mexicaines. La création de la Junta del Buen Gobierno, ou " Conseil du bon gouvernement ", sur laquelle j’écrirai un peu dans le prochain article, semble s’inscrire dans cette logique.

Dans le prochain article, nous verrons plus en détail l’organisation de l’ancien Aguascalientes d’Oventic, et en quoi consiste la toute récente transformation des Aguascalientes en Caracoles.

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[1] La communauté de Roberto Barrios est prise avec ce problème précis. Il s’agit d’ailleurs d’une communauté très divisée entre Zapatistes et PRIstas, où la tension est très forte. On peut supposer que le projet ne fait qu’empirer le conflit, puisque certains membres de la communauté sont peut-être prêts à sacrifier leur territoire, leurs ressources et leur culture pour bénéficier des grandes entrées d’argent que promet l’industrie touristique...