Réforme électorale : la carotte au bout de la canne

Soumis par tatien le jeudi, 25 septembre, 2003 - 17:10 Remarque
Politique nationale

Le ministre responsable de la réforme électorale, Jacques P. Dupuis, a récemment déclaré que la refonte du système électoral ne serait pas prête pour les prochaines élections. Cela nous mène en ... 2011! Ça, c'est si on ne nous fait pas encore marcher, comme on l'a si bien fait par le passé. Pourtant, à court terme, ce sont les libéraux qui gagneraient le plus à une représentation proportionnelle. Espérons qu'ils profiterons bien du second mandat que le peuple québécois leur accordera vraisemblablement (depuis 1970, les deux principaux partis s'échangent le pouvoir tous les deux mandats) pour installer ce système qui, d'après les statistiques, leur donnera au moins un troisième mandat...

En 1969, l'idée d'un mode de scrutin mixte pour le Québec était déjà au programme du Parti québécois. Cette idée avait été remise aux calendes grecques par le parti de René Lévesque. Une idée similaire refit surface en 1982; elle aussi fut bientôt mise sur une tablette. La baisse drastique du taux de participation et le déficit démocratique évident, particulièrement lors des élections de 1994 et 1998 [1] ont ramené l'idée sur la table.

La réforme du système électoral est donc, depuis belle lurette, une jolie carotte bien croquante qu'on nous tend au bout d'une perche. On sait depuis longtemps que le système actuel est complètement désuet et anti-démocratique (pensez à l'ère Duplessis) et pourtant, on continue à repousser la date d'échéance.

On nous a d'abord servi un paquet de mensonges sur les systèmes proportionnels. Ce type de systèmes serait plus instable et il favoriserait les gouvernements de coalition qui seraient jugés moins démocratiques. De plus, si on opte pour un tel système, les gens seront "mélangés" et auront de la difficulté à remplir leur bulletin de vote. On n'a qu'à regarder comment se portent des pays comme l'Allemagne, la Suède et la Suisse qui ont des systèmes proportionnels ou mixtes, avec des bulletins de votes "complexes", pour réfuter ces thèses. [2]

Ensuite, on nous a dit que c'était une bonne idée, mais qu'il fallait bien y penser. On y a pensé pendant trente ans pour en revenir à l'idée originale: un système électoral mixte, c'est-à-dire, avec une partie des sièges alloués de façon locale (comme maintenant) et une partie allouée de façon proportionnelle.

Bon, j'avoue que ce n'est pas tout. Je veux dire, je comprends que c'est un changement important et qu'il faut bien y penser. Un système hybride, c'est une idée originale (il y a présentement environ 10% des systèmes électoraux dans le monde qui adoptent un tel système), un peu nouvelle, on ne veut pas changer quatre fois de mode de scrutin, donc il faut réfléchir à certains détails. Aussi, il est inquiétant de voir que, dans l'actuelle proposition déposée par le ministre, un certain nombre de «détails» pourraient faire la différence entre goûter la carotte ou allonger la canne.

D'abord, le système proposé n'est pas, comme il l'a souvent été prétendu, un système «à l'allemande»; le système allemand est un système mixte avec compensation, c'est-à-dire que si la distribution des sièges locaux crée un déséquilibre par rapport au vote proportionnel, les sièges de liste sont distribués afin de corriger ce déséquilibre. Par exemple, suppposons qu'il y a 50 sièges locaux et 50 sièges de liste. Si le Parti A obtient 30 des 50 sièges locaux avec seulement 40% du vote national, il obtiendra 10 des 50 sièges de liste pour un total de 40 sièges sur 100 (40%).

Si c'est la proposition actuelle qui est finalement adoptée, nous passerons plutôt à un système «à l'écossaise», avec 75 sièges élus de façon locale et 50 élus à la proportionnelle, de façon indépendante. Une analyse rapide montre qu'un tel système parviendrait, tout au plus, à favoriser un système tripartiste mais posséderait plus ou moins les mêmes problèmes que le système actuel avec, entre autres, une sous-représentation pour les petits partis. [3]

En fait, ce qui se passe, c'est que le système actuel profite autant au Parti québécois qu'au Parti libéral. Ils sont certains de pouvoir s'emparer du pouvoir à tous les huit ans, à tour de rôle. Alors, pourquoi vouloir changer un tel système? À court terme, il est vrai qu'un changement vers un système plus proportionnel profiterait directement aux libéraux et il se peut bien qu'ils le fassent (après avoir eu droit à leur second mandat) pour cette raison et en raison des pressions de la population, qu'ils ne peuvent plus ignorer. Mais à plus long terme, un changement vers un système «trop» proportionnel serait au désavantage des deux partis et ça, ils le savent bien.

Mais ce qui est le plus désopilant dans cette «réforme», c'est le peu d'attention que l'on a accordé à d'autres aspects du processus démocratique. Une fois de plus, la démocratie est réduite au simple système électoral. Pendant qu'on nous fait saliver indéfiniment devant la carotte du système électoral mixte, personne ne pense à s'attaquer à la concentration de la presse. Personne ne pense à instaurer des mécanismes pour augmenter la participation du citoyen dans le processus démocratique (e.g., système de votations publiques, comme en Suisse). Personne ne s'interroge sur les mécanismes encadrant les lobbies. Personne ne s'inquiète de remanier la loi sur le financement des partis politiques, contournée de façon régulière par les entreprises par le biais de prête-noms[4].

En résumé, en regardant de plus près l'attitude des partis qui se partagent le pouvoir, on réalise une fois de plus à quel point la volonté politique de véritables changements n'est aucunement présente. Ce que les grands partis souhaitent, c'est maintenir un statu quo qui les avantage et ce, le plus longtemps possible. Et puisque c'est une attitude anti-démocratique, que le peuple pourrait leur reprocher, la meilleure façon de le faire est de tendre à ce dernier une carotte illusoire au bout d'une longue canne télescopique.

Ce point de vue a d'ailleurs été exprimé avec conviction par le ministre Dupuis lui-même le 10 juillet dernier, à la chambre des institutions, lorsqu'il a déclaré: «En d'autres termes, le citoyen doit être convaincu que son vote compte!»[5]. Encore une fois, la politique se réduit à une stratégie de marketing où le but n'est pas d'amener des changements réels, mais simplement de «convaincre» les gens; ici, convaincre qu'il y aura un grand changement démocratique alors que le changement, s'il a lieu, risque d'être fort édulcoré.

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[1] Source: Résultats électoraux et référendaires au Québec de 1970 à 2003, Consulat Général de France à Montréal.
[2] André Larocque. «Réforme du mode de scrutin: principes et mythes». Le Devoir, mardi 12 août 2003.
[3] Paul Cliche. «Mode de scrutin: Gare à une réforme cosmétique». La Tribu du Verbe, 23 février 2003.
[4]

Depuis son adoption, en 1977, la Loi sur le financement des partis politiques réserve aux seuls électeurs le droit de contribuer à la caisse électorale d'un parti. Cependant, une analyse des listes publiques des donateurs révèle que des dizaines de milliers de dollars proviennent de personnes toutes liées à la même entreprise. Ces contributions individuelles seraient en fait des bonis, des dividendes ou des frais de représentation déguisés: l'employé, l'associé ou le propriétaire d'une société est ni plus ni moins un intermédiaire ou un prête-nom.
Kathleen Lévesque. «Financement des partis politiques: Comment contourner la loi». Le Devoir, 22 février 2001.
[5] Jacques P. Dupuis. «Remarques préliminaires à l'occasion de l'étude des crédits budgétaires 2003-2004 du ministre délégué à la Réforme des institutions démocratiques». 10 juillet 2003.

Une lettre de Cliche sur la Tribu du Verbe

by tatien on 22 avril, 2004 - 16:58Score: 1

J'exerce une fois de plus mon habitude de commenter mes propres textes. Dans la veine de cet article, je vous propose cet article de Paul Cliche paru dans la Tribu du Verbe dans laquelle il répond à une lettre de M. Simon Labelle écrite dans le Devoir du 19 avril.