Marc Bellemare, ministre de la justice du Québec, semble avoir une vision de la justice très différente de la mienne. Du moins, c'est l'impression que me laisse La justice en crise, article publié en page A12 de La Presse du 4 octobre [1]. En fait, en me fiant à un autre article, Transport en commun : tout le monde va payer, en page A7 celui-là, je crois que nous avons un bel exemple des valeurs mises de l'avant par le parti Libéral. Petit examen des valeurs libérales au travers de différents évènements de l'actualité des derniers mois...
Commençons avec l'article à propos de Marc Bellemare. On le présente à la fois comme un "pitbull" et comme un défenseur de "la veuve et de l'orphelin" : homme de contrastes? Je ne sais pas, mais il semble qu'il ait une vision un peu particulière de la justice et de l'administration de celle-ci. J'ai peur de voir dans les impressions que laisse M. Bellemare un reflet des valeurs du gouvernement entier. Que le premier ministre, Jean Charest, dise de M. Bellemare qu'il "est un ministre qui a une vision [...] très intéressante de l'administration de la justice" ne fait absolument rien pour dissiper cette crainte!
La question du procès des motards (et de l'intervention du ministre dans celui-ci) ne m'intéresse que très peu. Par contre, d'une manière générale il m'est difficile de comprendre l'acharnement qu'ont certaines personnes à l'endroit des plea bargain... ne dit-on pas que la pire entente vaut mieux que le meilleur procès? Chose certaine, je vois un côté pédagogique à démontrer les vertus de la négociation qui pourrait aider la "réhabilitation" à faire apprendre à quelqu'un la vertu de la négociation. Évidemment pour les motards, il n'est pas impossible que quelques longues années de prison soient nécessaires pour que la pédagogie ait le temps de faire effet.
Les modifications qu'aimerait apporter le ministre au no-fault [2] (officiellement "système d'indemnisation sans égard à la responsabilité"), font entrer dans le système québécois la possibilité de poursuites débiles comme on en voit aux États-Unis. Oui, c'est malheureux que des gens se blessent sur la route, non, ça n'a pas d'allure que des chauffards ivrognes tuent à répétition leurs concitoyens. C'est pour ça que le code de la route est là. La conduite en état d'ébriété est une offense criminelle! Pourquoi permettre des poursuites civiles en plus? Je comprend d'autant moins que l'article de La Presse mentionne que M. Bellemare s'est battu contre la lenteur du système judiciaire tout au long de sa pratique en tant qu'avocat. Pourquoi vouloir l'engorger encore plus?
Ce que je comprends, c'est qu'il voit là une question de justice. C'est là que nos visions de la justice sont différentes : le ministre Bellemare semble croire en une justice punitive, alors que je préfère, et de beaucoup, une justice réparatrice. [3] C'est une question de vision à long terme : les temps bibliques de la loi du Talion sont révolus. Révolus ne doit pas vouloir dire oubliés, saut que M. Bellemare semble faire joyeusement en oubliant qu'à oeil pour oeil, dent pour dent, nous finirons tous en borgnes édentés. L'administration de la justice n'est pas parfaite, mais c'est en cherchant des améliorations à notre système qu'on va l'améliorer, pas en retournant à un système bête et méchant.
Il faut savoir apprécier que la question du no-fault n'est pas de la responsabilité du ministère de la Justice : le code de la route relève du ministère des Transports. Autrement dit, M. Bellemare se mêle de ce qui ne le regarde pas vraiment...
Toujours selon l'article, notre ministre de la justice croit que "l'État devrait faire payer aux détenus une partie de leurs frais en prison". Pour qu'une mesure comme celle-là soit "rentable", il faudrait que la pauvreté combatte la criminalité... malheureusement, c'est plutôt l'inverse. Je ne veux même pas connaître les détails de l'application de cette idée tellement c'est imbécile.
Le côté intransigeant de la justice libérale n'a rien de pédagogique et laisse croire que M. Bellemare ne croit pas que les gens puissent changer. C'est cette vision d'une personne irrécupérable qui me dérange. Je vous le dis, M. Bellemare doit avoir des gènes texans. La vision libérale ne semble pas admettre que la manière dont la société traite ses membres puisse avoir une quelconque influence sur la société qu'ils forment. Difficile de s'entendre sur un "projet de société" sur cette base!
Surtout qu'en même temps, la vision libérale ne semble pas reconnaître la responsabilité de la société dans ce que deviennent les individus qui la compose. Où est la reconnaissance de cette responsabilité dans le délaissement des garderies? Dans l'abandon du financement de l'éducation? Dans le non-financement du transport en commun?
Ce qui m'amène aux propos de notre ministre déléguée aux transports, Julie Boulet. Depuis une décennie, le gouvernement québécois s'est retiré du financement du transport en commun. Que dit la ministre Boulet? Que les sociétés de transports doivent faire de nouveaux efforts de compression et que tous (usagers, automobilistes et municipalités) devront payer leur part de la facture. Mme Boulet ne doit pas prendre le métro souvent à Montréal, vu qu'elle semble ignorer l'augmentation régulière du prix des billets...
Le transport en commun n'est pas un luxe, c'est une nécessité. D'autant plus que l'augmentation du prix des logements à Montréal force les gens à aller habiter plus loin... gens qui n'ont pas tous les moyens d'avoir une voiture et de la stationner au centre-ville de Montréal.
Le centre-ville de Montréal, à moins qu'il veuille devenir, à l'image de celui de plus grandes métropoles, pollué et victime du smog, n'a pas les moyens d'accueillir davantage de voitures. Le transport en commun ne s'arrête pas au trio train-autobus-métro : des alternatives comme Allo Stop [4] et CommunAuto [5] méritent d'être encouragées! Seulement voilà, la réalité est loin de ça : Allo Stop n'a pas le droit d'offrir ses services en Ontario depuis quelques années [6] et la ville de Montréal, malgré des demandes répétées, n'aide pas vraiment CommunAuto à fonctionner [7].
Comme je l'ai entendu dire à la radio [8], le gouvernement Québécois est en train d'abandonner la taxation et se dirige vers la tarification. Autrement dit, au lieu que tous contribuent au bien-être commun, chacun va payer pour les services auxquels il a recours. Est-ce que ça veut dire que ceux qui n'ont pas d'argent n'auront pas de services? Tout ceci semble montrer que c'est ce qui nous attend.
Le parti libéral, au travers de M. Bellemare, démontre qu'à se faire un métier de la protection de la veuve et de l'orphelin, on devient dépendant de leur existence.
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[1] Oui je sais, ça fait longtemps.
[2] Au sujet du "no-fault" et des nouvelles politiques du gouvernement québécois, voir cette page du site du CAA-Québec.
[3] Pour des réponses générales à ce sujet : www.cidg.com/belina/k/i/mid4j.htm#D70209. La GRC a un site à propos du fonctionnement de la justice réparatrice au Canada : www.rcmp.ca/ccaps/restjustf.htm, tout comme le ministère de la Justice du Canada : canada.justice.gc.ca/fr/ps/voc/restjust.html.
[4] allo-stop.com
[5] communauto.com
[6] La raison est expliquée sur le site web, mais en bref, le service de covoiturage est vu comme un service de transport en commun selon la loi ontarienne. Comme tous les véhicules de transport en commun doivent avoir un permis, ce qui est impossible pour les membres d'Allo Stop, le service a été arrêté.
[7] CommunAuto doit trouver des stationnements où mettre les voitures : la ville pourrait sans doute offrir des espaces, voire des permis de stationnement pour les zones où c'est nécessaire. Peut-être que la situation s'est améliorée depuis que j'ai lu un article à propos de ça.
[8] Si ma mémoire est bonne, ça a été dit par le chroniqueur d'un journal invité à l'émission Indicatif Présent. Je ne me rappelle ni du nom du journal, ni de celui du chroniqueur, mais je pencherais pour Le Devoir ou La Presse.