"It's not a war on drugs, it's a war on personal freedom, keep that in mind at all times, thank you." - Bill Hicks
Depuis l'apparition de partis comme le Bloc Pot et, plus tard, le Parti Marijuana, j'ai eu des réticences à appuyer la lutte pour la décriminalisation de la marie-jeanne. Je voyais la décriminalisation comme une étrange étape non-nécessaire vers l'objectif final, la légalisation totale de la marijuana et de ses dérivées. Ce que nous pouvons réaliser maintenant, c'est que non seulement c'est une écartement du réel objectif, mais qu'en plus la décriminalisation est en train de devenir un outil extraordinaire pour la guerre à la drogue "Made in Canada".[1]
Le gouvernement fédéral a amorcé le long processus de l'élaboration d'une loi pour la décriminalisation de la possession simple. Le projet de loi est maintenant déposé aux Communes et fait l'objet de moult débats et discussions. Pendant que des formidables forces de pression s'installent maintenant autour d'Ottawa, on peut examiner un peu plus le plan du ministre de la justice Martin Cauchon. Évidemment, le projet de loi propose de décriminaliser la possession de marijuana. La possession [2] de moins de 15 grammes serait traitée comme une infraction "normale".[3] On entre alors dans un dédale de règlements et où on laisse souvent beaucoup de marge de manoeuvre aux applicateurs de la loi.
Les contraventions, donc, sont la solution miracle apportée par le ministre pour répondre aux remises en question qui travaillent la société civile depuis que cette prohibition de l'herbe existe. Message étrange, s'il en est un, où on annonce que la drogue c'est mal, mais moins qu'avant, que désormais, on peut s'allumer un pétard, mais il faut s'attendre à une contravention de 100 ou 200$. Ou est-ce que le message est que c'est seulement les riches (et donc aussi les motards) qui peuvent fumer à la face des flics? Et non seulement ça, mais ces procédures peuvent éventuellement mener aux procédures criminelles normales et à des peines d'emprisonnement d'autant plus élevées.
Alors que présentement, il y a une certaine tolérance ou au moins "omerta" par rapport à la consommation, on se retrouverait alors avec des avalanches de contraventions qui seraient distribuées allégrement par nos agents de la paix, s'évitant ainsi le fardeau d'avoir à entamer des poursuites et donc remplir de la paperasse, se présenter en Cour, et tout le tralala. En effet, la situation présente par rapport à la consommation est ambiguë: les policiers vont rarement faire des arrestations et des poursuites pour une simple possession, sauf quand ils veulent arrêter quelqu'un a priori et que la drogue se révèle un moyen d'incarcérer ou simplement de faire chier un citoyen. J'ai même été témoin d'un incident où des policiers ont carrément dérobé de l'herbe à deux citoyens sous menaces de poursuites et d'arrestation. Je crois sincèrement que ce n'est pas un cas isolé et que depuis toujours, les flics s'amusent bien avec leurs saisies non-officielles, que ce soit maintenant du pot ou de la coke, comme autant dans le temps de la prohibition, de l'alcool. Un système surprise!
En plus, les récidives pourraient mener à des peines de plus en plus sévères. C'est un article du Devoir du 17 octobre dernier qui nous apprend que "plusieurs opposants au projet de loi ont demandé que la peine devienne de plus en plus sévère pour [les récidivistes]". Une des possibilités envisagées par le ministre serait qu'après un certain nombre de récidives, les contrevenants fréquents seraient soumis au même traitement qu'avant la loi, c'est à dire poursuites judiciaires et peines de prison, le tout, en plus, selon le pouvoir discrétionnaire des policiers. Ceci sans parler des contraventions elles-mêmes qui risquent de pousser plusieurs personnes refusant ou ne pouvant payer derrière les barreaux ou avec des salées factures, simplement pour avoir fumé un joint.
Pour implanter ce système de gestion des récidivistes proposé par le Ministre, il faudra une banque de données centrale où les contraventions pourront être comptabilisées, ce qui n'est présentement pas le cas. À chaque juridiction ses contraventions: la police de Montréal a ses propres contraventions, tout comme Immigration Canada, la SQ et la GRC. Ces informations ne sont pas compilées ensemble pour en faire un dossier. C'est le dossier criminel (ou casier judiciaire) qui est l'amalgame des offenses commises, et celui-ci est je crois provincial. Pour faire les liens entre ces dossiers, il faudra créer encore un autre méga-dossier où seront répertoriées les contraventions. Ce fichier sera-t-il consultable depuis nos voisins du sud? Verra-t-on alors des citoyens refusés d'entrée aux É-U ou ailleurs à cause non pas d'un casier judiciaire mais à cause d'infractions qui sont censées être décriminalisées? L'implantation de cette mesure flouera la distinction entre casier judiciaire et les contraventions, ce qui n'est pas une mince affaire. Et qui sait, d'ailleurs, si nos amis de la Loi ne trouveront pas si commode d'avoir sous le même toît ces infractions! Un autre outil pour chasser les contrevenants, les "défaillants" de la société: ceux qui dans les manifestations ou les assemblées publiques sont ciblés pour des arrestations par les policiers. Il y a des gens dans la GRC, la SQ et le SCRS qui doivent s'amuser maintenant.
Par la bande, le gouvernement tente donc de se donner encore plus de pouvoir en nous faisant miroiter une plus grande liberté, qui s'avère elle-même être un autre carcan administratif, dès que l'on regarde de plus près. Des peines minimales pour les trafiquants et les cultivateurs sont demandées par les lobbies policiers, ceux-ci trouvant les juges un peu trop cléments. Les peines de prison pour ces "crimes" pourraient passer de 7 à 14 ans. Les lois contre la culture n'ont d'ailleurs pas de sens, si l'on remarque que le cultivateur de pot n'est pas nécessairement impliqué dans le crime organisé, un des éléments que le système judiciaire est censé combattre. Peut-être que justement, si tout le monde pouvait faire pousser cette fabuleuse plante, le crime organisé en prendrait pour son rhume. Mais alors la mission de la police et les milliards engloutis dans la lutte à la drogue ne serviraient à rien. Des escouades complètes seraient démantelées. Je me demande jusqu'à quel point la prohibition et justement le crime organisé sert la police et l'État. Comment la guerre à drogue est l'outil par excellence pour contrôler les masses, et le prétexte facile pour la création rapide d'un état policier.
Alors que la comission LeDain, créé sous Pierre Elliot Trudeau, avait recommendé la décriminalisation et même la légalisation de toutes les drogues en 1970, l'Alliance Canadienne s'est récemment plainte aux Communes que les lois sur la marijuana ne soient passées trop rapidement, sans que l'on n'ait le temps d'examiner pleinement la question[4]. (L'Alliance ne s'est pourtant pas offensée quand le gouvernement fédéral a passé par la voie rapide les projets de lois "anti-terrorisme" détruisant encore plus les libertés individuelles, après le 11 septembre.) On sort alors le spectre de l'augmentation de la consommation et du traffic, surtout chez les enfants (!). La menace d'envenimer les relations commerciales avec les US est aussi brandie allégrement, comme si cela devrait affecter notre politique nationale, comme s'il fallait façonner nos politiques pour ne pas, surtout pas froisser les Américains, nos maîtres économiques. Des porte-paroles de l'Alliance sont même allés jusqu'à dire qu'il n'y a pas eu suffisamment de tests effectués pour vérifier les effets de la consommation.[5] Peut-être alors ces chers membres de l'Alliance pourraient alors s'y mettre, aux tests, ça mettrait de quoi dans leur pipe, littéralement. Pour ma part, j'ai vérifié, et il n'y a aucun problème avec la consommation de marijuana.
Ne soyons donc pas dupes. La décriminalisation n'est qu'une parure. L'influence américaine est trop forte à Ottawa pour qu'un tel projet de loi passe inaffecté, de toute façon. Le mieux qui pourra arriver avec cette initiative est qu'elle meure dans l'oeuf. Cela aura l'avantage de ne pas désamorcer la vague de contestation des lois courantes contre la marijuana. Ensuite on s'attaquera au vrai problème: la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui rend criminelle la consommation de drogue. La légalisation est le seul combat valable contre cette chimère qu'est la guerre à la drogue. Et il ne faut pas s'attendre à ce que le gouvernement fasse le travail tout seul. Comme le documentaire Société sous Influence révèle, la guerre à la drogue est une formidable pompe à finance, c'est un outil puissant dans la lutte contre les libertés individuelles et le contrôle mondial du gouvernement américain. La police et le gouvernement ont intérêt à garder le contrôle sur la consommation le plus longtemps possible.
La vérité c'est que
C'est enfants de salaud
Ça les arrange un peu
La came, dans leurs ghettos
Ça tue surtout les pauvres
Les négros, les bandits
Ça justifie les flics
Ça fait vendre des fusils
- Adios Zapata, Renaud
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[1] Citation intéressante du ministre: "Cette loi n'a pas été rédigée en vase clos. Elle s'inscrit dans la nouvelle stratégie antidrogue du Canada."
[2] Notez bien que la consommation de marijuana n'est pas illégale. Il serait en effet difficile de contrôler la consommation et il est beaucoup plus pratique de contrôler la possession, où les preuves matérielles ne manquent pas.
[3] Notez bien, cependant, que le gouvernement fédéral se garde bien de dire que la marijuana devient légale. Comme le ministre lui-même le dit, d'ailleurs: "Une chose doit être claire dès le départ: il n'a jamais été question de légaliser et nous ne sommes pas en train de légaliser la marijuana. La marijuana reste une substance illégale et les contrevenants seront toujours punis par la loi. Ce que nous modifions, ce sont les modalités de poursuites pour certaines infractions en introduisant de nouvelles peines et des procédures alternatives.", voir La transcription d'un discours du ministre.
[4] Une autre transcription: "J'ai plusieurs préoccupations relativement à ce projet de loi et à la façon dont le gouvernement s'y prend pour accélérer le processus, notamment sur la décriminalisation d'une quantité donnée de marijuana ainsi que sur les peines assorties aux diverses infractions. Je me pose aussi certaines questions logistiques quant à l'application de la nouvelle mesure, et je crois que ces questions nécessitent des réponses avant que celle-ci soit adoptée."
[5] Pour tous les détails morbides, veuillez voir encore une autre transcription.