Puisqu'il semble y avoir quelques groupes en train d'amorcer des projets similaires dans l'objectif de maximiser l'accès aux moyens de communication, comme Koumbit, ÎleSansFil ou Groovy Network Services, j'aimerais présenter quelques principes fondamentaux au sujet de la nature des réseaux de communication, comment ils peuvent fonctionner et qu'est-ce qu'on peut en faire.
Il existe une base théorique pour expliquer comment l'information traverse les noeuds d'un réseau [1].
Dans les années 40, Claude Shannon a établi une correspondance exacte entre l'information et l'entropie. L'entropie comme concept physique est le sujet du second principe thermodynamique, qui dit que l'énergie s'étend et se diffuse naturellement. Si on veut l'entourer, la limiter, on doit dépenser de l'énergie. «Information wants to be free» [2], c'est une loi fondamentale de l'univers.
Alors, si on se tente de limiter l'accès à l'information -- c'est à dire au réseau -- bref, de gérer l'accès, il y a un coût. Il faut en premier lieu déterminer si le coût en vaut la peine. Des gens s'inquiètent de la sécurité et du contrôle dans un espace fondamentalement public à travers lequel passe l'information. S'il est question de les convaincre sur la nature de la "bête", vaut-il mieux dépenser l'énergie en les convainquant ou en fonctionnant malgré leurs malentendus? La première question qu'on doit donc se poser est: comment le réseau se gérera?
À mon avis, si l'idée est de créer un réseau autoconstruit et autogéré par la communauté et pour la communauté, les barrières de participation et d'utilisation devraient être les plus basses possible.
L'Internet (avec un I majuscule) n'a en soi rien à voir avec les ordinateurs, sauf qu'ils sont les outils les plus commodes dans certaines circonstances pour y participer. Si on revient à Shannon, il a déjà remarqué que les principes de diffusion d'information s'appliquent également au niveau des conversations dans des tavernes qu'aux réseaux de communication. En essayant vraiment de chercher la démarcation entre les humains (ceux qui communiquent) et le réseau (l'outil utilisé pour communiquer), on remarque éventuellement que c'est impossible. La démarcation se trouve-t-elle au niveau de l'ordinateur? Au niveau du corps? Au niveau cognitif?
Au risque de dépouiller le mot «Internet» de toute signification, j'avancerai la notion que les appareils cognitifs des participants (ce mot me semble meilleur que l'habituel «utilisateurs») font autant partie de l'Internet que les ordinateurs, routeurs, fils et sans-fils. En effet, ces outils technologiques ne sont que des extensions de l'être humain. La forme que prendra ces outils est la réflexion de ceux qui les utiliseront. Alors l'acte de bâtir un réseau -- surtout un réseau communautaire -- c'est l'acte de bâtir et conceptualiser un communauté.
Il y a une chance ici de se poser la question: «est-ce qu'il y a des choses qui vont mal dans la communauté maintenant?» et d'essayer de s'orienter dans le projet pour les régler. Ce n'est pas une question simple: tout le monde a une idée différente ce qui est nécessaire à régler. Mais il ne faut pas sous-estimer le potentiel de ce genre de projets dans le milieu des êtres communicateurs.
Ou: il ne nous faut pas une technocratie!
Au fond, ce sont des activités qui nécessitent une implication assez profonde dans la technologie. D'un côté, c'est vrai que la plupart des gens ont d'autres affaires qui les occupent et ils ne veulent rien avoir à faire avec les "nuts and bolts". En même temps, si on a trop peu de gens qui veulent s'impliquer dans ce genre de choses, ce qui se produirait c'est une élite qui sait comment ça marche. Cela mettrait une petite minorité dans une position de pouvoir vis-à-vis les autres. C'est nuisible à la communauté, ça. C'est dangereux, et ce n'est pas tellement différent de ce qu'on a maintenant.
Je n'ai pas de solution à ce problème. Je soupçonne que la solution a quelque chose à voir avec l'éducation. Et l'utilisation des solutions les plus simples possible, car elles seront plus faciles à comprendre. Tout projet visant la construction de l'infrastructure technique communautaire sera condammé dès le début s'il n'y a pas de stratégie pour éviter l'éventualité que personne dans la communauté ne sache comment contrôler ce monstre.
L'innovation la plus importante de l'internet (comme conventionellement compris, donc avec un i minuscule) est sa décentralisation. On a prouvé sans aucun doute qu'une telle infrastructure peut exister d'une manière assez anarchique et fonctionner merveilleusement. C'est l'atout le plus important de ces outils que nous avons à notre disposition.
Toute question de centralisation dans ce milieu devrait être considerée avec méfiance. Peut-être qu'une telle manière d'agir sera méritée ou non, selon le cas. Mais l'attitude par défaut devrait être «plus c'est décentralisé, mieux c'est».
--
[1] Un réseau peut être vu comme un ensemble de points fixes -- appelés "noeuds" -- reliés entre eux par des arcs ou des flèches -- appelés "liens". Par exemple, le World Wide Web est un ensemble de pages -- les noeuds -- reliés par des (hyper)liens.
[2] NDLR: L'information veut être libre.