Il peut sembler un peu risqué de dresser un bilan du dossier des contrats de performance alors que le débat ne s’est pas encore véritablement éteint. Néanmoins, on peut déjà voir dans l’annonce des 400 millions de coupures en éducation, ainsi que dans la réaction des fédérations étudiantes et de plusieurs recteurs, des leçons importantes se dessiner.
Les vrais enjeux des contrats de performance
Depuis près d’un an, des voix étudiantes, syndicales et professorales tentent d’offrir un faible écho critique au concert d’éloges du ministre Legault et de ses acolytes envers les contrats de performance. Sans trop répéter les excellents commentaires déjà avancés par d’autres , on peut rappeler quelle est l’ampleur de la transformation que l’université subit présentement, et dont les contrats de performance ne sont qu’une partie. Au fil des décennies, l’université apparaît de moins en moins comme un lieu de transmission de savoirs et de connaissances par une civilisation envers ses héritier-e-s, mais de plus en plus comme le siège des ambitions des adeptes du productivisme tous azimuts. L’université, disent-ils, tout comme l’eau, les gènes, la culture, n’a que faire d’être le patrimoine d’une communauté, elle doit offrir de meilleurs rendements, se positionner sur le marché mondial. Ainsi, « le système éducatif est lui aussi contraint à n’être plus qu’un simple rouage de l’économie de marché globalisée. Il devient une entreprise dispensatrice de services aux autres secteurs de l’économie et il doit être soumis comme tel aux lois de la concurrence et de la maximisation du rendement des investissements. » Une telle contrainte aux paramètres du marché existait avant les contrats de performance, mais elle trouve sa consécration et sa consolidation dans ceux-ci, comme en témoigne la politique de financement du ministre Legault .
On pourrait attribuer la force de plus en plus imposante de ce discours à une simple lutte idéologique entre technocrates rivaux du gouvernement. Or, les enjeux d’un tel virage du système d’éducation sont bien réels. Il y a actuellement sur terre un milliard d’étudiants, et plus de mille milliards de dollars sont présentement dépensés dans le secteur de l’éducation. Le marché de l’éducation est donc une ressource inestimable . La frénésie pour les nouvelles technologies en éducation participe également à la marchandisation progressive de l’enseignement : en objectivant un cours sur un site web, sur un cd-rom, on peut désormais le vendre, en copies illimitées, à travers le monde, sans avoir affaire aux syndicats de professeur-e-s, tout en éliminant ce que nous avions l’habitude d’appeler la « communauté étudiante » . On comprend que dans un tel contexte, les universités québécoises se retrouveront potentiellement en compétition avec celles des États-Unis ou d’Europe, et on devine qu’elles cherchent déjà à « performer ».
Derrière toutes ces apparitions, en plus de la transformation de la mission première de l’université et de celle de son fonctionnement concret, un autre enjeu se profile. C’est celui de la privatisation de l’université. L’éducation est de plus en plus perçue comme un service, et non comme un bien public ou un droit fondamental. M. Charles Sirois, ex-président de Téléglobe Canada, constitue l’un des phares idéologiques de cette transformation. Dans son livre Passage obligé , les étudiants (qui prennent le titre d’étudiants-consommateurs) paient l’ensemble de leur formation, sans aide de l’État, soi-disant pour avoir un pouvoir total sur le contenu de cette formation.
Marchandisation de la mission universitaire, nouveau secteur de profits pour le capitalisme contemporain, disparition du caractère public du système d’éducation, c’est à tout cela qu’il faut penser lorsqu’on parle de « contrats de performance », non pas parce que ces « conditions de réussite » sont à la source de ces changements, mais parce qu’ils s’insèrent parfaitement dans ce que Michel Freitag appelle le naufrage de l’université, et doivent par conséquent être refusés avec l’intransigeance la plus totale.
FEUQ et recteurs : ralentir le recul
Ainsi donc, notre bon ministre François Legault nous a annoncé il y a quelques jours qu’il annulait la tenue des contrats de performance, et réduisait de 400 millions de dollars l’argent promis au dernier Sommet du Québec et de la Jeunesse. La Fédération Étudiante Universitaire du Québec crie à l’assassinat et promet d’incendier le parlement (ai-je besoin de spécifier qu’il s’agit d’une métaphore). Alors que Christian Robitaille, digne héraut de « la voix étudiante du Québec », osait, avant l’annonce de Legault, quelques timides critiques de la logique productiviste des plans de réussite du Parti Québécois ., il déchire sa chemise sur la place publique pour « ravoir le 400 millions promis lors du Sommet ».
D’abord, n’ayons pas la mémoire trop courte. Le consensus du Sommet du Québec et de la Jeunesse s’est fait à coups de gaz lacrymogène devant le Grand Théâtre de la capitale, alors que durant quelques jours, aspirant-e-s politicien-ne-s jouaient aux porte-parole jeunes devant tout ce que le Québec a d’élite politique et (bien sûr) économique. Lors de cet exercice de consultation-bidon , qui a bien failli ne rien produire du tout, Lucien Bouchard et François Legault ont sorti le chéquier pour montrer que le modèle démocratique québécois du consensus permettait encore de grandes réalisations. Un an plus tard, s’appuyer sur le Sommet du Québec et de la Jeunesse pour réclamer l’argent coupé me semble donc déjà être de courte vue .
Mais le pire dans la réaction des recteurs et de la FEUQ, c’est de voir la disparition complète de la critique des contrats de performance . L’argent excuse tout, même les pires sacrifices. C’est alors à une lutte d’arrière-garde à laquelle nous assistons. On appuie publiquement François Legault. On joue les corporatistes, on tire la couverte au détriment du secteur de la santé, qui doit lui aussi sabrer quelques 600 millions dans ses dépenses, face au chantage de la baisse de la cote de crédit du Québec... Politiquement et idéologiquement, on recule, on se fiche des éléments perdus, mais on tente de ne pas le laisser paraître et on s’agrippe aux miettes qui restent, c’est-à-dire le financement conditionnel. Il est là, le piège de l’obsession pour le financement : on se fait passer les pires sapins. Landry et Legault, au-delà de leurs querelles internes, doivent bien rigoler : puisque que Bernard Landry semble accepter de ne pas couper les 400 millions, il est désormais impossible pour le milieu universitaire de contester les contrats de performance sans avoir l’air d’éternels ambivalents et ainsi perdre tout appui du public.
Ce que nous devons demander, ce n’est pas du financement. Le financement est dépourvu de sens s’il est accompagné de paramètres productivistes et anti-sociaux. C’est l’autonomie du système d’éducation qu’il nous faut obtenir : financement inconditionnel, indépendance de la recherche, cours et programmes affranchis des lois du marché, gestion de l’université par les gens qui y étudient, qui y enseignent, qui y travaillent.