Pourquoi il y a-t-il plus de suicides au Québec que dans tout le continent africain?

Soumis par louis lessard le mercredi, 4 août, 2004 - 15:34 Analyse
Divers

Aux abords des échafauds du mur anti-suicide du pont Jacques Cartier, Mike Malembe, un jeune néo-québécois originaire du Congo, n’a que de l’incompréhension face au projet en pleine construction: «C’est pour nous les Africains, un véritable non-sens et ça ne correspond à aucune réalité de chez-nous, la voie du suicide contrairement à ici, est impensable. J’ai peine à comprendre ce qui peut traverser l’esprit de tous ces gens qui mettent ainsi fin à leur vie». Pourtant, sur les 63 000 personnes qui tentent de se suicider chaque année, plus de 1000 d’entres elles optent pour le pont aux arches vertes.

«Si on ne se suicide pas en Afrique, c’est grâce à la famille, c’est évident», affirme tout sourire M. Jean-Marie Mousenga, le directeur du RECOPAC, le Réseau de communication pour la prévention des actes criminels. Ses deux filles de 4 et 10 ans solidement assises sur ses genoux, le congolais verbomoteur n’en finit plus de glorifier la famille africaine. «C’est une structure sociale immuable d’où émerge et converge tout changement», affirme le papa sous le regard amusé des fillettes. «Au Québec, les jeunes en nécessité n’osent pas dialoguer avec leurs parents. En Afrique, la famille est à la fois le premier et le dernier des recours en cas de crise», précise le père de famille en agitant ses genoux sous les éclats de rire des principales intéressées. C’est d’ailleurs à partir de cette structure sociale en question que M. Mousenga tente depuis quelques années de changer les comportements délinquants des jeunes Québécois d’origine africaine. C’est dire combien l’homme est convaincu du rôle structurant que joue la famille chez les adolescents.

«Et quelle famille!» de s’esclaffer M. Papa Diop, verre de limonade en main lors d’un entretien dans un café, boulevard St-Laurent. «Les amis, les tantes, les oncles, les voisins, en veux-tu en v’la!» lance le sénégalais de Thiès, qui vit maintenant au Québec depuis plus de trente ans. La famille dépasse largement le cadre «nucléaire» et l’assistance en cas de besoin est diversifiée et accessible, assure le Canado-Sénégalais également directeur de l’organisme Omega Ressources Humaines. «À bien y penser, les Africains ne semblent pas au fait du phénomène du suicide», conclue M. Diop en terminant son verre d’un trait. «Bien que je n’habite plus le pays à l’année, je n’ai entendu parler que d’un suicide au Sénégal et quelle histoire ça avait provoqué! Les gens avaient honte de ce qui s’était passé, le déshonneur était palpable sur la famille et la communauté toute entière.»

Alléluia

«Les problèmes de la vie sont là pour nous rendre plus forts», déclare avec sagesse M. Peter Flegel, directeur de Jeunesse noire en action, joint au téléphone. Pour le jeune directeur, la religion est l’élément déterminant qui expliquerait le fait que les sociétés africaines ne sont pas aux prises avec la problématique du suicide. «Il y a au Québec un vide spirituel, contrairement en Afrique où la religion prend tout son sens au quotidien.» Plusieurs religions découragent le suicide et servent de réconfort pour les individus en mal de vivre: «Les individus qui sont religieux et qui s’adonnent à la prière ont l’impression de ne jamais être laissés à eux-mêmes. Même dans des situations qui pourtant ne sont pas plus faciles, on se décourage moins facilement parce qu’on se sent épaulés.»

Le fait de vivre dans une société moins axée sur la consommation, les valeurs identifiées au progrès et à la performance sont peut-être aussi des éléments à considérer. «Traditionnellement, le jeune garçon occidental a sa principale raison d'être sur le plan social par son rôle de travailleur, son métier et sa profession (…) la pression est forte» affirmait le Docteur Jean-François Saucier, psychiatre et professeur à la faculté de médecine de l’Université de Montréal. Plusieurs autres intervenants abondaient dans le même sens lors d’une journée de réflexion sur la problématique du suicide chez les hommes en 2000. En Afrique, les jeunes travaillent, certes, mais ils vivent aussi dans un réseau de socialisation ou la solitude ne semble pas prendre racine. «Quand on avait fini l’école on n'était jamais seul, on jouait au soccer, au foot ou encore aux cartes», se remémore le Sénégalais Papa Diop de l’organisme Omega Ressources Humaines.

Bien qu’il n’y ait pas de statistiques sur la répartition des décès en fonction de la communauté culturelle, les jeunes Québécois d’origine africaine ne gonflent pas les chiffres concernant le suicide des jeunes Québécois aux dires du directeur de Jeunesse noire en action. «Les jeunes Québécois d’origine africaine que je côtoie au quotidien, tout comme leurs parents, n’ont pas le suicide comme sujet de préoccupation». Traversant fréquemment le pont en voiture, le néo-québécois Mike Malembe pose encore un regard incrédule sur le mur qui sera complété à la fin septembre. «Je réalise que je suis vraiment dans une culture différente.» Et comment! Il y aura au Québec à la fin de sa journée, 4 personnes qui se seront enlevé la vie et 80 qui vont y avoir songé.

par Louis Lessard