La question des heures d'ouverture est souvent traitée avec légèreté dans les médias, comme si c'était une chicane sans intérêt (comme la couleur de la margarine). Pourtant je trouve que ça a une très grande pertinence au niveau symbolique. Quand on dit qu'on vit dans une société de plus en plus dirigée par l'économie, c'en est un super exemple.
Quiconque est déjà allé en Europe peut en témoigner: les magasins sont souvent fermés le dimanche et les midis (quoique c'est de moins en moins vrai). Ce n'est pas un hasard si ça arrive dans des pays où il y a davantage de protections sociales, ou du moins, des pays où des normes autres qu'économiques ont encore une bonne place.
L'avantage d'une société où la religion a encore une place importante, c'est qu'il y a des choses sacrées, comme par exemple: le dimanche, on ne travaille pas. Ces choses sacrées permettent souvent de soutenir l'esprit de communauté, de défendre celui-ci contre l'emprise de l'économie. À une certaine époque, l'État a réussi à assumer ce rôle à la place de l'Église, donnant des limites laïques à l'emprise du marché sur notre quotidien (par exemple, par la semaine normale de travail limitée à 44 heures). Mais cette époque semble tirer à sa fin.
Les heures d'ouverture qui augmentent, les garderies 24h, les pharmacies 24h, les librairies 24h (bientôt les centres d'achat 24h?), ça signifie que le temps exclu des rapports marchands diminue de plus en plus, autant pour les producteurs et employés que pour les consommateurs. Pour moi, la marchandisation du monde, ce n'est pas seulement la privatisation de l'eau ou de l'éducation, mais la colonisation progressive de notre quotidien par le marché. C'est la raison pour laquelle il faut imaginer des rapports plus sensés entre l'économique et le politique. À mon avis, cela devra se faire à l'extérieur du capitalisme, qui est d'une voracité inégalable.